Le 4 avril 2019 - Projet de loi C-68, Loi modifiant la Loi sur les pêches et d’autres lois en conséquence - Divers Témoins
La sénatrice Poirier : Une fois de plus, je vous remercie tous de votre présence.
[Français]
Mes premières questions s’adressent à M. Lanteigne. Premièrement, merci encore d’être ici.
Vous avez partagé avec nous vos inquiétudes par rapport à la main-d’œuvre, plus particulièrement les difficultés qui se posent pour les plus jeunes qui veulent entrer dans l’industrie de la pêche. Selon vous, comment peut-on modifier le projet de loi C-68 afin d’assouplir les conditions et le transfert des permis, tout en faisant en sorte que ces transferts n’affectent pas négativement les communautés? Selon vous, comment le gouvernement peut-il vous aider à recruter une main-d’œuvre plus jeune?
M. Lanteigne : Voilà une question fondamentale. Aujourd’hui, si on se présente dans une école secondaire et qu’on demande à des jeunes s’ils sont intéressés à faire carrière dans la pêche, à l’exception d’enfants de propriétaires de bateaux, on verra très peu d’intérêt. Personne, nulle part, ne fait la promotion du métier de pêcheur. On veut tous que nos enfants aient des carrières professionnelles de médecins, d’avocats, d’architectes, d’ingénieurs, d’enseignants et le reste, sauf le métier de la pêche. Le point de départ est donc de susciter de l’intérêt pour ce secteur.
Comme je l’ai dit plus tôt, nous sommes ni plus ni moins devant une créature à deux têtes. Le ministère des Pêches a la responsabilité d’octroyer les permis, de décider qui va sur l’eau et comment. Le volet « formation » est de compétence provinciale. La collaboration entre les juridictions fédérales et provinciales, à l’heure actuelle, est minime et varie selon les gouvernements. Un jour, on remarque une bonne collaboration entre les instances gouvernementales. Tout à coup, le gouvernement change, au fédéral ou au provincial, et c’est carrément différent. Il faut faire cette réflexion pour savoir comment aborder le problème.
Pour nos cousins américains, la valeur du permis est de zéro, car c’est l’État qui le détient. L’État donne le permis au pêcheur. Une fois qu’il a terminé, le permis prend fin et l’État en réémet un nouveau.
Ici, on a commencé à donner une valeur au permis, ce qui est tout nouveau. Si on recule un peu, la vente de permis ne date pas de si loin. À ce sujet, le ministère des Pêches et des Océans répond que, pour eux, le permis est gratuit et le morceau de papier ne coûte rien. Pour la transaction sous-jacente, toutefois, ils ne sont pas au courant. Cela équivaut tout simplement à se mettre un bandeau sur les yeux et à dire qu’on ne veut pas voir cela. Le modèle ne fonctionne plus.
Il faudrait donc carrément faire une réflexion. Or, le sujet est tabou. Le pêcheur a fait de cet enjeu son plan de retraite. Une licence pour la pêche au homard se transige autour de 1 million de dollars — on en a même vu à 1,2 million de dollars sur la côte de la Gaspésie. Le pêcheur se dit : « Voilà un bon plan de retraite qui équivaut à tous mes régimes enregistrés d’épargne-retraite. » Si, tout à coup, le permis tombe à zéro, ce sera la révolte, vos bureaux seront alors très occupés. Nous n’avons pas le choix; il faudra bien aborder le sujet, car il viendra un temps où les choses ne fonctionneront plus.
La distribution, dans l’industrie de la pêche, implique le propriétaire de l’entreprise et les hommes de pont. Un bateau est un bateau. L’un ne va pas sans l’autre. Sans équipage, il n’y a pas de pêche. Encore une fois, on voit énormément d’inégalités. Le capitaine récupère, dans bien des cas, la plus grande partie des revenus, et les hommes de pont retournent chez eux bien souvent avec des sommes dérisoires. Dans de telles circonstances, un jeune pêcheur n’aura pas grand intérêt à vouloir faire carrière dans le secteur de la pêche. La seule possibilité de carrière réelle est de détenir un permis. C’est là où le métier devient lucratif. Comme je l’ai dit plus tôt, le coût étant de 8,2 millions de dollars, il n’est pas vrai qu’un pêcheur peut se permettre de dépenser une telle somme. Ce sera plutôt une compagnie qui tentera de mettre la main sur un permis. On est vraiment ici dans le nerf du problème. La solution nécessitera un effort collectif entre le gouvernment fédéral et le gouvernement provincial pour ce qui est de l’accès et de la formation des pêcheurs. Or, la question de la formation du pêcheur est inexistante. Un jeune traîne sur les quais. On lui demande : « Qu’est-ce que tu fais, mon jeune, les deux mains dans les poches? Il me manque un gars ce matin; veux-tu embarquer? » Le jeune embarque, monte en mer et tout à coup devient intéressé. Le capitaine lui dit alors : « Eh bien, il te faut ton permis. Va le chercher et je te donne un emploi. » C’est un bref résumé de la situation.
Il n’y a pas grand métier au Canada qui est aussi facile d’accès. On ne peut pas devenir concierge dans une école sans avoir au moins un diplôme de 12e année. Il y a donc de grosses lacunes. M. Williams a très bien expliqué le principe. Cette industrie a le taux de croissance le plus élevé au Canada. Or, personne ne s’en occupe. Nous aurions vraiment intérêt à nous pencher sur la question.
[Traduction]
Le président : Je vais vous laisser le temps de poser une question, mais notre temps est limité. Je suis conscient qu’il y a beaucoup à dire et que vous voulez nous en dire beaucoup, mais nous devons raccourcir les réponses d’une certaine façon. Je déteste devoir intervenir ainsi; j’aime que l’information soit transmise sans interruption, mais cinq autres sénateurs veulent poser des questions, et notre temps est limité. J’aimerais que les questions soient précises et, dans la mesure du possible, que les réponses le soient autant.
La sénatrice Poirier : Je vais en poser une autre, et si le temps le permet, je vais intervenir au deuxième tour.
[Français]
Monsieur Lanteigne, le projet de loi propose plusieurs changements pour l’obtention et le transfert des permis de pêche. Lorsque j’ai questionné le ministre à ce sujet, mardi soir, sa réponse n’était pas claire. Comme pour la plupart de ses réponses, il dit que tout sera inclus dans les règlements à venir. Toutefois, il n’existe pas d’échéancier précis. Est-ce que ces changements vous inquiètent? Avez-vous été consultés sur l’élaboration de ces changements, en tant qu’organisation?
M. Lanteigne : La réponse précise est oui. Nous avons été consultés, nous continuons d’être consultés et le travail se fait. Nous espérons toutefois que les choses se fassent le plus rapidement possible et que la mise en œuvre du projet de loi puisse se faire aussi rapidement. Pour répondre à votre question, le processus consultatif se déroule auprès de chacune des organisations.
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La sénatrice Poirier : Je vais revenir à M. Sullivan. En lisant votre mémoire, une grande partie de ce que vous dites ressemble à ce que nous avons entendu dans d’autres déclarations. Vous parlez de la préoccupation entourant les propriétaires-exploitants et leurs flottes, la difficulté pour les jeunes de se lancer dans le secteur de la pêche, et les inquiétudes relativement aux gens qui doivent rivaliser contre des investisseurs de Bay Street ou de grandes sociétés pour obtenir un permis.
Il n’y a pas que les Terre-Neuviens qui nous font part de cette préoccupation. Je l’ai entendue au Nouveau-Brunswick. À votre avis, le projet de loi C-68, dans sa forme actuelle, règle-t-il ces préoccupations? S’il ne le fait pas, quels amendements recommanderiez-vous d’apporter pour les régler? Devraient-elles être réglées dans le projet de loi C-68 ou dans un projet de loi semblable?
M. Sullivan : Je pense que ce qui est prévu dans le projet de loi nous donne cette occasion. Il clarifie le mandat du gouvernement et du ministre et nous offre cette possibilité. Mais comme je l’ai déjà dit, nous devons aller plus loin.
Des gens ont soulevé que ce sont les détails qui posent problème. Nous avons également besoin du règlement connexe. C’est un secteur où nos membres et les gens qui pêchent et qui se soucient de l’avenir de l’industrie tiennent à s’assurer que la réglementation cadre avec la volonté de l’industrie et les besoins de nos provinces et de nos économies rurales pour réussir. Ce sont quelques secteurs.
Il y a aussi — et je sais que des investissements sont prévus dans ce projet de loi, mais je ne sais pas trop où ils iront — l’application pour veiller à ce qu’il n’y ait plus de dérapage et que nous ne trouvions pas d’autres moyens de contourner ce qui deviendra des lois, comme nous l’avons fait avec la politique. Des entreprises ont été capables de contourner les politiques, et le ministère des Pêches et des Océans et le gouvernement n’ont pas été en mesure de les faire appliquer. On a besoin de mesures de suivi. Je pense que le projet de loi nous donne cette occasion, renforce les politiques et clarifie ce que les gens veulent dans l’Est du Canada, ce qui, à mon avis, aidera l’économie et les pêcheurs en Colombie-Britannique.
La sénatrice Poirier : Monsieur Williams, si je vous ai bien compris il y a quelques minutes, lorsque vous avez témoigné devant le comité de la Chambre des communes, vous avez parlé du fait que les permis ne devraient pas pouvoir être vendus ou transférés à personne d’autre qu’un pêcheur ou un propriétaire qui pêchera, ce qui signifie qu’on élimine la possibilité qu’un investisseur de Bay Street, une entreprise ou une grande usine de transformation du poisson l’achètent.
Pouvez-vous nous faire part des réactions que vous avez reçues? Le projet de loi C-68 ne règle pas cette question, n’est-ce pas?
M. Williams : Non. L’étude qui est réalisée par le comité des pêches de la Chambre des communes est une étude de suivi. Durant les consultations sur le projet de loi C-68, il a reçu beaucoup de commentaires des membres des communautés et de l’industrie de la Colombie-Britannique, si bien qu’il a créé une étude distincte pour se pencher sur cet enjeu. Hier, le ministre a signalé qu’il s’attend à ce que le rapport soit rendu public sous peu. Il offrira des options et des stratégies sur la façon de procéder possible.
La sénatrice Poirier : Croyez-vous qu’un amendement devrait être apporté au projet de loi C-68 pour régler cette question?
M. Williams : Non. Si le libellé dont nous avons discuté ici est adopté, alors le ministre aura le pouvoir, et j’espère, la responsabilité d’aller de l’avant et de dire : « Pourquoi aurions-nous un ensemble d’objectifs stratégiques sur la côte Est et une politique complètement différente sur la côte Ouest? » Un ministre pourrait alors décider qu’il a le pouvoir d’intervenir, ce qu’il aurait par l’entremise de règlements et d’autres politiques.
Ce serait une décision stratégique en matière de délivrance de permis pour déterminer qui pourra détenir un permis d’ici sept ans. Il est inutile d’aborder cette question dans le libellé.
La sénatrice Poirier : Merci.