Le 26 octobre 2018 - Voyage du comité à Moncton Nouveau-Brunswick - Étude de la perspective des Canadiens au sujet d’une modernisation de la Loi sur les langues officielles - Divers témoins

La sénatrice Poirier : Merci à nouveau d’être ici. J’ai quelques questions à vous poser.

Selon vous, quels sont les mécanismes qui manquent pour assurer que la Loi sur les langues officielles soit pleinement appliquée? Est-ce que sa mise en œuvre devrait être confiée à un ministère spécifique, comme le Conseil du Trésor ou la ministre de Patrimoine canadien?

M. Carrier : Je crois que plusieurs personnes sont d’avis qu’une agence centrale dédiée, au lieu d’avoir les responsabilités partagées au sein de plusieurs agences fédérales, améliorerait non seulement la livraison, mais aussi la coordination pour faire en sorte qu’on n’échappe pas certains éléments importants qui pourraient se perdre dans l’échange entre diverses agences.

En général, d’après ce que j’ai lu et ce que j’ai entendu, et d’après ce que nous pensons aussi, il devrait y avoir une agence centrale. Au Nouveau-Brunswick, la loi prévoit que la responsabilité revient au bureau du premier ministre.

Tout récemment, dans le dernier rapport annuel, Mme d’Entremont a suggéré de créer un secrétariat qui pourrait appuyer le travail du premier ministre. Le premier ministre a bien d’autres chats à fouetter. Par conséquent, le dossier des langues officielles pourrait peut-être ne pas recevoir l’attention nécessaire. La création d’un secrétariat, semblable à d’autres secrétariats qui existent au Nouveau-Brunswick, pourrait offrir une coordination plus présente et avoir une influence aussi sur le travail de la haute direction au sein des ministères.

J’entendais hier, encore dans un certain domaine, que là où le bât blesse, c’est surtout au niveau des gestionnaires. On peut avoir des plans d’implantation en matière de langues officielles au Nouveau-Brunswick; si les gestionnaires n’y croient pas ou n’embarquent pas, ou ne sont pas engagés, peut-être que ça ne donnera pas les résultats escomptés.

Alors, la création d’un secrétariat, qui pourrait être dirigé par une personne au sein du bureau du sous-ministre, pourrait avoir une meilleure influence.

Si on prend l’exemple du Nouveau-Brunswick et qu’on le ramène au gouvernement fédéral… Je ne sais pas si ça répond à votre question, mais ça pourrait certainement donner de meilleurs résultats.

La sénatrice Poirier : En tant que commissaire aux langues officielles pour la province du Nouveau-Brunswick, comment percevez-vous la qualité de la traduction des jugements rendus? Selon vous, est-ce que cela pose problème?

M. Carrier : Vous voulez dire en ce qui concerne la traduction?

La sénatrice Poirier : Oui?

M. Carrier : Pas à ce que je sache.

La sénatrice Poirier : Non?

M. Carrier : Ici, au Nouveau-Brunswick, la Loi sur les langues officielles prévoit qu’une décision qui a une importance pour le public doit être traduite et publiée dans les deux langues officielles.

La Cour d’appel a décidé que toutes ses décisions tombent dans cette catégorie et toutes les décisions de la Cour d’appel sont traduites. Elles sont traduites par le Centre de traduction et de terminologie juridiques de l’Université de Moncton, le CTTJ, et ils font un travail extraordinaire.

J’ai déjà eu des discussions à ce sujet avec des juges et d’autres juristes. Il ne semble pas y avoir de préoccupations en ce qui concerne la justesse de la traduction.

La sénatrice Poirier : Je pose la question parce que des témoins, entre autres de la Cour suprême, nous ont dit qu’à l’échelon fédéral, parfois, il y a des délais importants et lorsque les documents traduits reviennent, ils doivent être révisés à plusieurs reprises.

Êtes-vous en mesure de comparer la qualité des traductions de la Cour fédérale et de la Cour provinciale au Nouveau-Brunswick? Avez-vous des commentaires à formuler?

M. Carrier : Pas vraiment. On ne s’est pas arrêté à comparer les deux. Comme je vous l’ai mentionné, cette question n’a pas été soulevée par les juristes du Nouveau-Brunswick pour ce qui est de la traduction des jugements.

La sénatrice Poirier : D’accord.

M. Carrier : Selon nous, cette question est réglée, dans le sens que la traduction est juste et de qualité.

Au début, on a dû apporter des ajustements. Évidemment, lorsque la traduction revient, les juges peuvent réajuster le tir. C’est un exercice qui peut quand même aider.

On sait qu’en matière juridique il faut être précis et il faut que l’idée soit bien transmise. Quand on fait une traduction, ça peut aider à apporter certaines précisions.

Dans un travail antérieur, j’étais directeur général du Barreau du Nouveau-Brunswick. À un moment donné, on a fait traduire un document portant sur un projet d’envergure. C’était la refonte de la Loi sur le Barreau du Nouveau-Brunswick. Cela nous a permis d’être plus précis, d’être plus justes. On a fait affaire avec le CTTJ, qui nous a remis un produit exceptionnel.

La sénatrice Poirier : Parfait. Merci beaucoup. C’est clair.

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La sénatrice Poirier : Merci d’être ici et d’avoir accepté de nous envoyer vos notes, c’est grandement apprécié.

J’ai quelques questions. Ma première question porte sur le processus de la nomination du commissaire aux langues officielles. Il y a eu, lors du dernier processus, des délais qui n’étaient pas nécessaires pour la nomination du commissaire. Selon vous, comment peut-on modifier la Loi sur les langues officielles afin de ne pas se retrouver dans une situation similaire? Je parle au niveau fédéral.

M. Caron : Quand vous faites allusion à la situation, parlez-vous de la situation avec Madeleine Meilleur?

La sénatrice Poirier : Je parle du processus, mais pas nécessairement d’un individu. Je ne veux pas nécessairement nommer personne. Il s’agit de la manière dont fonctionne le processus de nomination du commissaire aux langues officielles. Est-ce qu’il y aurait une autre façon de faire que vous pourriez suggérer?

M. Caron : Selon ce que j’ai compris, jusqu’à la nomination dont on parle, tous les commissaires avaient été nommés de façon unanime, par le Parlement. Donc, moi, je suggérerais qu’il y ait cette obligation que le Parlement nomme le ou la commissaire de façon unanime, parce que cette personne-là, c’est un agent du Parlement.

La sénatrice Poirier : D’accord. Ensuite, y a-t-il quelque chose, selon vous, qu’on devrait modifier dans la loi? Est-ce qu’il devrait y avoir quelque chose de spécifique dans la loi? Sur le processus?

M. Caron : Oui, justement, que la personne soit nommée de façon unanime. Comme ça, il n’y aurait pas, selon moi, de partisanerie par rapport à la nomination.

Pour répondre à vos questions, j’ai peut-être une liste de cadeaux, dans le fond, quant aux éléments que je demande. Je comprends qu’il y a des difficultés, mais je vous réponds dans un monde idéal. Selon moi, si on peut codifier le plus possible, le mieux c’est, parce que, sinon, on est vraiment à la disposition et à la merci des différents gouvernements.

La sénatrice Poirier : Selon vous, est-ce que les pouvoirs du commissaire doivent être modifiés afin qu’on puisse lui donner plus de mordant?

M. Caron : C’est une bonne question, parce que, je comprends que son rôle, c’est de faire des recommandations. Parallèlement, il y a le rôle des tribunaux judiciaires, qui eux, ont plus de pouvoir. Comme je suis juriste, j’aime bien aller devant les tribunaux. Je crois que le système actuel est bon, avec les tribunaux judiciaires qui peuvent ordonner des mesures plus contraignantes. J’allais parler aussi d’une source de financement pour les différents organismes, de sorte qu’ils puissent revendiquer leurs droits devant les tribunaux.

Donc, je réponds non à votre question, car je crois que le statu quo est correct de ce côté-là.

La sénatrice Poirier : J’ai une autre question, qui porte sur l’accès à la justice. Notre étude porte présentement sur la modernisation de la Loi sur les langues officielles. Selon vous, quels sont les éléments qui manquent pour assurer l’accès égal à la justice? Est-ce qu’il y a une solution possible pour modifier la loi?

M. Caron : Justement, c’est le Programme de contestation judiciaire, qui est devenu le Programme d’aide aux droits linguistiques, je crois. Il s’agit de mesures positives qui donnent accès à la justice, parce qu’autrement, on le sait, les frais juridiques sont exorbitants pour un individu dont les droits sont bafoués. Souvent, le fait d’aller devant les tribunaux sans aide quelconque ne vaut vraiment pas la peine.

Il s’agit d’un programme gouvernemental, et dans les questions que le greffier m’avait envoyées, il y avait la question à savoir s’il vaudrait la peine de le codifier. Absolument, parce qu’ici, on l’a vu tout récemment, le programme a changé. En 2015, le nouveau gouvernement a décidé de le remettre en vigueur, et on se retrouve aujourd’hui, à la fin de 2018, et le programme n’est toujours pas opérationnel. Donc, je sais qu’ils ont pris toutes les mesures possibles, et que c’est une question de temps, il sera opérationnel bientôt, mais s’il y a un nouveau gouvernement en 2019, ça pourrait tomber à l’eau de nouveau.

Il s’agirait donc de le codifier dans la loi, sous la partie VII, qui parle de l’épanouissement des minorités linguistiques, parce que le fait de permettre de revendiquer des droits et d’obtenir une source de financement, c’est une mesure positive à l’épanouissement.

La sénatrice Poirier : Merci.

Comment jugez-vous la qualité des jugements rendus dans la langue traduite, et quel rôle le gouvernement fédéral devrait-il jouer dans ce domaine?

M. Caron : Je trouve que la qualité de la traduction est très, très bonne. On sait que, dans la loi, sous le paragraphe 20(2), je crois, ce n’est pas toutes les décisions qui doivent être traduites, et selon moi elles devraient toutes être traduites, parce qu’on fonctionne avec la common law, sous ce qu’on appelle stare decisis, qui veut dire qu’il faut suivre les décisions.

Mais ce n’est pas juste pour un juriste francophone, car ça peut être un anglophone, dépendamment. Il y a une décision qui porte exactement le cas qu’il ou elle veut utiliser, mais cette décision-là est dans l’autre langue. Ce n’est pas nécessairement juste, dans le sens où les décisions ont un impact sur tout le monde. Elles devraient nécessairement être toutes traduites, selon moi.

Un peu comme au Nouveau-Brunswick, la Loi sur les langues officielles exige que la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick traduise toutes ses décisions.

Il arrive parfois que le ou la juge rende sa décision sur le banc. Selon moi, il n’y a pas de problème qu’il ou elle rende sa décision dans une langue officielle. Mais quand les décisions sont écrites et motivées, elles devraient être rendues simultanément dans les deux langues.

La sénatrice Poirier : Merci.

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La sénatrice Poirier : J’aimerais faire un suivi à ce sujet puisqu’on parle du Nouveau-Brunswick. À Miscou, ce sont les anglophones qui sont en situation minoritaire, et non les francophones.

M. Caron : Absolument.

La sénatrice Poirier : Les anglophones pourraient faire la même demande. Ça donne un exemple.

M. Caron : C’est vrai, absolument.

Le président : Est-ce que l’égalité réelle des deux communautés au Nouveau-Brunswick fait en sorte qu’une communauté anglophone dans un milieu francophone qui se retrouve en situation minoritaire, dans les faits, peut être considérée comme une minorité, ou non?

M. Caron : Selon moi, oui. Si on reprend l’exemple de l’autobus, ce serait en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés, qui donne énormément de flexibilité. Ce n’est pas parce qu’on est un anglophone au Nouveau-Brunswick qu’on ne peut se trouver dans une situation minoritaire. On s’entend que dans la majorité des cas, ce sont les francophones qui vivent cette situation. Ce serait à la cour de répondre, bien sûr. Toutefois, la cour donnerait énormément de latitude à l’interprétation parce que bon nombre de lois sont toujours interprétées de façon large. La Loi sur les langues officielles, quand elle octroie des droits, ils sont interprétés de façon large et libérale. Donc, dans cette optique, je répondrais : oui.

Le sénateur McIntyre : Oui; je suis d’accord. L’objectif est de protéger les minorités, que ce soit une minorité francophone ou une minorité anglophone. Ici, au Nouveau-Brunswick ou au Québec.

La sénatrice Poirier : J’aimerais faire quelques observations. Cette question est vraiment intéressante et je vous remercie. Je pense qu’on a une grande différence d’âge, alors peut-être que les choses ont changé au cours des dernières années. À l’époque où je suis déménagée dans la région de Saint-Louis-de-Kent, on avait une population francophone et anglophone. Cela variait d’un village à l’autre. Puisque j’habitais une ville où il n’y avait pas d’écoles françaises, j’ai continué mes études en anglais. Dans l’autobus, il y avait des élèves francophones et anglophones. Quand une personne me demandait dans quelle langue je voulais parler —dans notre cas, c’était un peu différent —, je lui répondais dans sa langue. Si je m’adressais à ma voisine qui était francophone, je lui parlais en français. Lorsque je parlais à un autre voisin qui habitait à deux rues de chez moi, on se parlait en anglais. Alors, il y avait un mélange des deux langues. Le conducteur de l’autobus était parfaitement bilingue. Il pouvait répondre aux besoins de tous les élèves dans l’autobus, peu importe leur langue. Je constate que la situation est différente d’une région à l’autre de la province.

M. Caron : Je suis d’accord avec vous. Si une personne à côté de moi est francophone, je vais sûrement m’adresser à elle en français. Je ferais la même chose si je prenais l’autobus à Moncton aujourd’hui. Il n’y a pas de doute. Lorsque j’ai écrit cet article-là sur les autobus, je me disais qu’il fallait mettre une ligne quelque part par rapport au système d’éducation. Cette question à propos des autobus n’a jamais été tranchée. On l’a renvoyée à la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick, qui l’a finalement retirée. C’était mon point de vue, mais c’est certain qu’il y a des points de vue opposés, qui sont tous aussi valides.

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