Le 28 mars 2022 - Étude sur l’immigration francophone en milieu minoritaire - Divers témoins

La sénatrice Poirier : Je vous remercie tous trois pour vos présentations. Comme ma question touche un sujet que j’ai déjà abordé avec M. Corbeil, je vais lui adresser ma première question, qui est assez large. Comme on le sait, la cible de 4,4 % n’a clairement pas été atteinte. Peu importe le chiffre qu’on établit comme cible, il faut avoir des mécanismes en place pour être en mesure d’atteindre ces cibles. Il y a un manque sur le plan des mécanismes et des programmes.

Quels mécanismes ou programmes doivent être mis en place pour améliorer l’immigration francophone? Que doit faire le gouvernement fédéral pour améliorer l’immigration francophone?

Monsieur Corbeil, je vous pose la question, mais si les deux autres témoins ont quelque chose à ajouter, ils pourront le faire si le temps le permet. Merci.

M. Corbeil : Merci, sénatrice. Très brièvement, je vous dirais qu’au départ, on doit s’en tenir au fait qu’il n’y a pas d’enjeux de bassins francophones à l’extérieur du Canada. Au fil des ans, plusieurs études effectuées entre autres par l’Organisation internationale de la Francophonie et l’Observatoire démographique et statistique de l’espace francophone ont démontré que le taux de croissance de la francophonie en Afrique est vraiment impressionnant. Selon les données rendues disponibles au cours des dernières semaines, il y aurait plus de 320 millions de francophones dans le monde, et la plus forte croissance se trouve en Afrique.

Or, ce que l’on constate, c’est que, chez les migrants africains, très peu se dirigent vers le Canada, même si les immigrants récents à l’extérieur du Québec, c’est-à-dire ceux qui sont arrivés au cours des cinq dernières années, proviennent principalement de pays africains. Donc, l’enjeu principal, selon moi, est d’essayer de comprendre pourquoi ces immigrants semblent préférer l’Europe, par exemple, ou semblent préférer les États‑Unis plutôt que le Canada.

Il y a une question de reconnaissance des acquis. Il semble que, finalement, on n’arrive pas à atteindre ou à accueillir un nombre suffisant d’immigrants. Je crois qu’il faut comprendre pourquoi, depuis 15 ans, le gouvernement n’a pas atteint ces cibles et savoir quels ont été les bons coups et les moins bons coups. Nous n’avons pas cette information-là. On n’a que de très peu d’information à ce sujet.

Il y a donc lieu d’essayer de comprendre comment se fait le lien entre le Canada et les immigrants africains, par exemple. Comment se fait-il que l’on ne parvienne pas à attirer plus d’immigrants qui, pourtant, sont par ailleurs fortement scolarisés?

La sénatrice Poirier : Est-ce que les autres témoins ont quelque chose à ajouter?

M. Sall : Ce n’est pas parce que les immigrants africains préfèrent l’Europe qu’ils y vont. Le Canada a une très bonne image pour ce qui est des pays africains. Le problème se pose davantage sur le plan des procédures d’immigration. Si je prends le cas des étudiants internationaux, ils vont souvent en Europe. Pourquoi? Parce que c’est moins cher, par exemple, les inscriptions sont moins coûteuses. Ils ont des parents là-bas, mais en même temps, les inscriptions sont moins chères.

D’ailleurs, l’une des recommandations que je ferais serait de faire en sorte que les coûts d’inscription dans les universités canadiennes soient moins élevés pour les étudiants internationaux francophones. L’Université d’Ottawa a fait un pas en ce sens, ce qui attire chez elle beaucoup d’étudiants internationaux francophones. Les autres universités doivent suivre, et pour cela, il faut mettre en place un système de bourses pour pouvoir atténuer les coûts à ce niveau.

Pour ce qui est des immigrants qualifiés, eux aussi veulent venir au Canada. Le problème, c’est qu’en Afrique, il n’y a que deux ambassades qui peuvent étudier leur dossier, soit l’ambassade de Dakar et celle de Nairobi. Vous comprenez que les procédures sont compliquées dans un continent où il n’y a que deux ambassades canadiennes qui peuvent traiter les dossiers.

De plus, il arrive souvent que leurs diplômes ne sont pas reconnus, ce qui est une autre raison pour laquelle ils ont du mal à immigrer au Canada.

Enfin, jusqu’à présent, n’oubliez pas que l’Europe occidentale a été très favorisée en matière de publicité et en matière d’attraction d’immigrants francophones. Ça commence pour l’Afrique, mais le rythme est encore trop lent à mon goût.

Le président : Brièvement, monsieur Traisnel, vouliez-vous intervenir?

M. Traisnel : Très rapidement. Je souscris complètement à ce qu’ont dit mes collègues.

Sur le plan des bassins, il y a peut-être aussi un effort à faire dans le raffinement des rapports qu’on entretient justement avec ces fameux bassins, tout simplement en raisonnant en matière de réseaux, et donc en introduisant une dimension assez qualitative. Quand on demande aux gens la raison qui les a amenés au pays, on s’aperçoit qu’il y a un certain nombre de profils qui s’intéressent plus particulièrement au Canada. Il y a peut-être un effort à faire sur le plan de la promotion des communautés francophones à l’égard d’un certain nombre de catégories de personnes qui seraient les plus à même de s’intéresser à Destination Canada, pour reprendre le nom d’un salon qui a lieu tous les ans à Paris.

Un autre bassin prometteur que l’on qualifie comme tel, ce sont les étudiants internationaux, simplement parce qu’on s’aperçoit qu’ils cochent plusieurs cases importantes. Tout à l’heure, je parlais de convergence des volontés et des intentions politiques avec les intérêts des immigrants. Là, on est exactement dans ce type d’objectifs, puisqu’on se trouve face à des personnes qui répondent aux besoins du marché du travail canadien et qui veulent souvent s’installer au pays, puisqu’ils sont des étudiants internationaux qui sont, par ailleurs, francophones.

La sénatrice Poirier : Merci. Mon temps de parole est écoulé, mais j’aimerais m’inscrire pour la deuxième ronde.

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La sénatrice Poirier : Merci à nos témoins d’être avec nous. Je n’ai qu’une question qui porte sur la recherche et la collecte de données.

Selon votre expérience, le gouvernement doit-il améliorer sa collecte de données concernant l’immigration francophone, afin de mieux proposer des politiques d’immigration francophone?

Si oui, quelles données seraient utiles, selon vous, pour augmenter l’immigration francophone dans les communautés francophones en situation minoritaire?

M. Martel : Je vous remercie de cette question intéressante, madame la sénatrice.

Jean-Pierre Corbeil, dans la première partie de la réunion du comité, l’a évoqué également. Il y a déjà quand même beaucoup de données disponibles actuellement, notamment grâce au recensement. Nous avons évidemment les variables « traditionnelles » présentes dans le recensement depuis un certain nombre de cycles, par exemple la langue maternelle, les langues le plus souvent parlées à la maison et la connaissance des langues officielles.

On a ajouté des éléments à cet éventail que j’ai évoqué au début de ma présentation, soit la langue d’instruction, pour répondre à un besoin de recueillir des données sur les enfants admissibles à l’instruction dans la langue de la minorité.

Il y a des données qui sont ajoutées même au moment où l’on se parle. Nous avons également la nouvelle enquête post-censitaire sur les langues qui est sur le point de recueillir des données.

Je pense donc qu’il y a quand même une masse importante d’informations. Nous avons également quelques données administratives, par exemple, sur les enfants qui fréquentent des écoles de la minorité à travers le Canada. On recueille ces données avec Statistique Canada à l’échelle des provinces et des territoires, sans parler de la fameuse base de données sur les immigrants du Canada qu’a évoquée Jean-Pierre Corbeil durant la première partie de cette séance.

Il y a déjà beaucoup de données qui existent actuellement. Nous avons enrichi cet ensemble de données en 2021 et bientôt en 2022. Ce serait ma réponse; je pense qu’il y a déjà quand même beaucoup de choses qu’on peut faire avec ces données.

Vous avez évoqué, par exemple, la migration interne des francophones. On peut déjà en faire une bonne approximation avec les données sur la mobilité contenues dans le recensement. On demande aux Canadiens : « Où viviez-vous il y a un an? » et « Où viviez-vous il y a cinq ans? » En exploitant ces questions contenues dans le recensement, on peut connaître beaucoup de choses sur la mobilité des Canadiens, notamment celle des immigrants et des immigrants francophones.

Je vais m’arrêter ici. Peut-être qu’Éric veut ajouter un élément de réponse?

Éric Caron Malenfant, directeur adjoint, Centre de démographie, Statistique Canada : Non; cela couvre très bien les sources de données actuelles et à venir.

La sénatrice Poirier : Si vous pensez que les données que vous avez sont suffisantes pour répondre aux besoins, pour quelles raisons ne pouvons-nous pas atteindre les cibles recherchées pour l’immigration?

Nous n’avons pas atteint les cibles attendues; nous ne sommes même pas à 4 %. Les données sont là pour répondre, mais en même temps tout cela ne répond pas à nos besoins.

M. Martel : Une des choses que Statistique Canada a mise de l’avant et qui est utile dans la prise de décisions, c’est ce à quoi j’ai fait référence dans mon allocution et qui a trait aux projections démographiques.

À titre de démographe, évidemment, je peux vous parler de l’utilité des projets démographiques, parce qu’à la lumière de ces projections, on est capable aujourd’hui de tester de multiples scénarios d’évolution et de jouer sur un ou plusieurs facteurs à la fois. On est capable de comprendre l’effet isolé d’un facteur pour voir la trajectoire des populations à l’avenir.

Statistique Canada a mis tout récemment à la disposition des décideurs publics de nouveaux outils en matière de projections qui vont permettre d’éclairer les débats, et peut-être surtout de prendre des décisions plus éclairées pour l’avenir de ces communautés.

La sénatrice Poirier : Est-ce qu’il me reste un tout petit peu de temps?

Le président : Oui, un tout petit peu. Allez-y.

La sénatrice Poirier : Ma question porte sur la dernière cible de 4,4 %; selon vous, quels sont les facteurs, sur le plan fédéral ou provincial, qui ont mené à cet échec?

Est-ce qu’on devrait rectifier le tir? La cible était-elle erronée dès le départ?

M. Martel : C’est aussi une question très pertinente.

Ma réponse à cette question serait de vous dire que, encore une fois grâce à nos projections, on pourrait par exemple tester, au sein de l’immigration, différents niveaux de composition d’immigration francophone au sein de notre immigration canadienne, surtout compte tenu des nouveaux niveaux que le ministère de l’Immigration a annoncés récemment. Nous pouvons facilement, à l’aide des outils dont nous disposons actuellement et que nous n’avions pas il y a une dizaine ou une quinzaine d’années, tester différents niveaux et arriver à bien comprendre le seuil minimum, par exemple, qui maintiendrait le poids démographique de certaines communautés francophones à l’extérieur du Québec, tout en gardant d’ailleurs une approche régionale. On serait même capable de cibler une proportion pour certaines régions par rapport à d’autres.

C’est dans ce sens que je pense que nos nouveaux outils nous permettront d’enrichir les décisions que vous prendrez prochainement.

La sénatrice Poirier : Merci beaucoup.

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