Le 23 mai 2018 - Comité des affaires sociales avec divers témoins
La sénatrice Poirier : Merci, messieurs, d’être ici. J’ai quelques questions.
Ma première question s’adresse à M. Lake. Dans un article du Financial Post, on disait que vous vendriez au prix moyen de 5,40 $ le gramme à la province de Québec, et selon Statistique Canada, le prix au Québec au mois de mars était en moyenne de 5,93 $ le gramme. La marge de la province pour concurrencer le marché illicite est très mince à l’heure actuelle. Dans le contexte du projet de loi C-45, où le gouvernement vise à éliminer le marché illicite par la légalisation, êtes-vous d’accord pour dire que cela fait partie de votre responsabilité sociale d’aider le gouvernement à offrir un prix où il y aurait une marge supérieure à 50 cents?
M. Lake : Tout d’abord, merci de votre question. Ces 5,40 $ représentaient une moyenne pour l’ensemble de notre gamme de produits. Cela comprend des produits à prix beaucoup plus bas et des produits à prix plus élevé. Par exemple, notre vaporisateur sublingual de CBD coûte environ 80 $ pour la bouteille de 15 millilitres. Ce serait le haut de la gamme. Ce chiffre de 5,40 $ est un peu trompeur en ce sens qu’il inclut également les produits haut de gamme. Pour ce qui est du produit de la fleur et de certains produits de bas de gamme, ils concurrenceraient facilement le marché noir.
Mais je pense que vous soulevez un très bon point. Comme Allan l’a dit, il s’agit d’un processus, et non pas d’une destination, de la fin de l’évolution. En tant que producteurs, nous devrons devenir de plus en plus efficaces dans notre production pour nous assurer que notre prix est en mesure de concurrencer le marché noir. Il ne fait aucun doute que si nous faisons tout cela et que nous avons toujours un marché noir florissant, cela ne fonctionnera pas. L’État de Washington a vécu une telle situation parce qu’il avait une taxe cumulative, je crois, de 37 p. 100 sur les produits, si bien que le marché noir demeurait prospère un an plus tard. Ils ont rajusté cela, le prix a baissé et le marché noir s’est rétréci considérablement. Je pense donc que nous tous, les gouvernements, en ce qui concerne les taxes, et les producteurs, devons nous assurer de bien suivre la situation et de faire baisser les prix pour qu’ils soient concurrentiels.
La sénatrice Poirier : J’aurai une autre question pour vous, si j’en ai le temps, mais je veux adresser ma prochaine question à notre maire.
Selon la Dre Paula Stewart, le taux de consommation de cannabis à Smiths Falls est déjà parmi les plus élevés de la province, la moitié des jeunes de la ville âgés de 15 à 25 ans ayant consommé du cannabis au cours de la dernière année. Son message principal était qu’il s’agit d’une drogue et non d’une feuille. Par ailleurs, votre collectivité a accueilli à bras ouverts l’industrie — vous l’avez dit très clairement — en raison des retombées économiques qu’elle apportait. Hier, un témoin du Colorado nous a dit que, depuis la légalisation, la perception chez les adolescents du risque que pose la marijuana a considérablement diminué. Les retombées économiques éventuelles du cannabis l’emportent-elles sur les risques pour la santé publique? Comment votre collectivité aborde-t-elle la normalisation du cannabis, surtout chez les personnes les plus à risque, c’est-à-dire les jeunes?
M. Pankow : Smiths Falls a toujours été une ville un peu difficile. Nous le savons, et les chiffres donnés par la Dre Paula Stewart sont, j’en suis sûr, très exacts. Encore une fois, la consommation de cannabis touche beaucoup de nos jeunes, et pas seulement nos jeunes, mais aussi certains de nos adultes. Je me suis entretenu avec les responsables de la santé mentale du comté de Lanark après le ralentissement économique. Une chose est devenue très claire: au fur et à mesure que les pertes d’emplois et la pauvreté augmentaient dans notre collectivité, les taux de dépendance et de toxicomanie augmentaient. Lorsque les gens sont découragés, déprimés et vivent des moments très difficiles, il n’est pas rare qu’ils se tournent vers l’alcool ou la drogue. Si vous avez des adultes qui sont consommateurs de ces produits, il est très probable que leurs enfants en consomment aussi.
Je pense que la disponibilité de substances contrôlées et l’élimination du marché noir imposent d’autres restrictions. Je ne pense pas que nous n’empêcherons jamais les jeunes d’en consommer ou d’essayer d’en trouver, mais il serait plus logique de le faire dans un environnement où la substance contrôlée est plus difficile à trouver, à obtenir. Canopy a indiqué — et je suis sûr que c’est le cas de tous les producteurs — qu’il fallait sensibiliser les gens pour s’assurer que les jeunes sont protégés de toutes les façons possibles.
C’est un sujet de préoccupation. Au fur et à mesure que notre collectivité se développera et que l’économie prendra du mieux, je crois que certains des défis liés à la santé mentale et à la toxicomanie diminueront par rapport au sommet atteint il y a quelques années.
La sénatrice Poirier : Est-ce que le traitement de la toxicomanie est facilement accessible à Smiths Falls, et croyez-vous que les municipalités disposent de ressources suffisantes pour gérer les cas de consommation habituelle du cannabis chez les jeunes, qui risquent d’augmenter?
M. Pankow : Pour ce qui est du traitement, je pense que c’est un problème dans toute la province de l’Ontario. Je ne pense pas qu’il y ait suffisamment de ressources disponibles. Je crois comprendre que les délais d’attente sont énormes. Lorsqu’un toxicomane a besoin d’aide, il ne faut pas lui imposer une attente de six mois pour y avoir accès. C’est un problème évident. J’ai un ami propriétaire d’un établissement privé sur le Saint-Laurent et qui ouvre ses portes en tout temps à tous les habitants de Smiths Falls qui ont besoin d’aide. Il est prêt à aider. Il est originaire de cette ville. Excusez-moi, votre deuxième question?
La sénatrice Poirier : Croyez-vous que les municipalités disposent des ressources nécessaires pour faire face à la normalisation du cannabis chez les jeunes ou à leur perception de la normalisation de ce produit? Les municipalités ont-elles les ressources nécessaires pour s’en occuper?
M. Pankow : Je ne pense pas que ce soit le cas pour l’instant. Il faudra faire beaucoup de sensibilisation, et notre service de police s’occupe de gérer cela depuis longtemps. Cela va changer les rôles et les responsabilités de la police, mais je pense qu’il nous reste encore beaucoup à comprendre.
Je pense que cela revient à ma réponse précédente. Si la disponibilité du cannabis est restreinte et que nous pouvons éliminer le marché noir, il sera alors plus facile de protéger nos jeunes.
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La sénatrice Poirier : Toujours dans la même veine que mes deux collègues. C’est là-dessus que portaient mes questions, alors je poursuis sur ma lancée.
Il y a quelques semaines, lorsque nous avons reçu le ministre de la Santé du Nouveau-Brunswick, M. Benoît Bourque, je lui ai posé des questions sur les montants dans le budget de l’éducation destinés spécifiquement pour nos jeunes, nos écoles et la formation des parents pour qu’ils connaissent le risque de marijuana pour les personnes de moins de 25 ans. Il avait alors répondu qu’ils allaient commencer à investir, mais qu’ils commençaient seulement en avril. Il m’avait dit aussi, si je ne me trompe pas, que l’industrie allait aussi aider financièrement l’éducation, ce dont on parle.
Lorsqu’on parle de l’industrie, parle-t-on de l’industrie qui cultive le produit, ce que font vos entreprises, ou de l’industrie qui vendra le produit, qui se trouve dans les magasins? S’il s’agit de l’industrie du produit de culture, lorsqu’on obtient un permis pour travailler dans la province, comme le Nouveau-Brunswick ou ailleurs où vous travaillez, y a-t-il des négociations à ce moment-là tendant à subordonner la délivrance du permis par la province à l’investissement d’un certain pourcentage de vos profits dans l’éducation, spécifiquement pour les jeunes compte tenu du risque pour les moins de 25 ans?
Dr Lake : Je peux vous parler de la situation au Québec, où le projet de loi 157 crée explicitement le Fonds de recherche et d’éducation sur le cannabis, qui sera doté d’un minimum de 25 millions de dollars par année.
De plus, comme vous le savez, la SAQ a Éduc’alcool, un mécanisme de péage pour les producteurs d’alcool qui fait partie d’un programme de sensibilisation. Nous ne savons pas encore si un programme semblable sera mis sur pied pour le cannabis, mais je ne serais pas surpris qu’il en soit ainsi, auquel cas tous les producteurs contribueront au financement de ce programme.
Je tiens à vous rappeler que le cannabis à usage récréatif sera assujetti à une taxe d’accise et à des taxes de vente qui généreront des ressources considérables pour tous les ordres de gouvernement. Je pense que nous sommes tous dans le même bateau. C’est une responsabilité partagée entre l’industrie et les gouvernements.
Au Colorado, au cours des deux dernières années, plus de 230 millions de dollars ont été consacrés à la construction d’écoles ou de programmes d’éducation. En fait, les recettes provenant des taxes sur le cannabis au Colorado dépassent maintenant celles provenant de l’alcool. Il finance donc beaucoup de programmes sociaux importants. D’après moi, lorsque le marché arrivera à maturité, cela se produira au Canada après un certain nombre d’années.
M. Linton : Je n’ai pas les détails précis pour chacune des provinces, mais je crois savoir que chacune d’entre elles a inclus un petit pourcentage, laissé à sa discrétion, dans le prix de transfert de gros.
La sénatrice Poirier : Et cela n’entrera en jeu qu’à l’entrée en vigueur du projet de loi?
M. Linton : Exact.
La sénatrice Poirier : Merci.
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La sénatrice Poirier : Merci à vous tous d’être ici.
Ma question s’adresse à M. Stewart. J’aimerais citer un extrait d’un communiqué publié par votre entreprise en janvier dernier:
Hiku se concentre sur la production artisanale de cannabis, les expériences de vente au détail immersives et la création d’un portefeuille de marques de cannabis emblématiques et attrayantes.
Vous avez aussi parlé, et je l’ai lu sur votre site web, du produit Van der Pop, qui est décrit comme « l’une des marques de cannabis axées sur les femmes les plus reconnues en Amérique du Nord » avec du contenu en ligne sur votre site web. J’ai aussi vu qu’on disait que c’était conçu pour ressembler à un magazine féminin raffiné. J’ai trouvé des articles qui laissaient entendre qu’il était sans danger pour les femmes qui allaitent de consommer du cannabis, et un autre sur la façon dont le cannabis peut renforcer votre routine de beauté. Un autre suggérait que le cannabis peut guérir la gueule de bois.
Monsieur Stewart, en quoi la promotion d’une marque de cannabis attrayante s’inscrit-elle dans ce qui est autorisé dans le projet de loi C-45, en particulier pour la publicité de style de vie? De plus, ne craignez-vous pas que ce contenu destiné aux adultes sur Internet puisse être vu par les jeunes?
M. Stewart : Merci beaucoup de votre question. Premièrement, le communiqué et ces passages sont rédigés et diffusés à l’extérieur d’un régime légal de cannabis à usage récréatif, dont nous sommes ici pour discuter. Lorsque la légalisation aura eu lieu et que les règlements auront été adoptés, il va de soi que nous respecterons l’esprit et la lettre de toutes les lois et politiques adoptées par le gouvernement.
Van der Pop est une marque de cannabis centrée sur la femme, lancée par une mère de deux enfants de 40 ans qui consommait du cannabis. Elle trouvait que rien dans l’industrie du cannabis ne l’interpellait comme consommatrice. Elle cherchait une plateforme éducative pour renseigner d’autres femmes dans des situations semblables à la sienne sur la façon de consommer du cannabis de façon responsable tout en étant un bon parent. Ce mouvement vient des États-Unis, où on s’inquiète beaucoup de l’admission en preuve d’activités illégales dans les affaires de garde d’enfants et autres. Van der Pop se veut un espace sécuritaire où les femmes peuvent en apprendre un peu plus sur le cannabis et la façon dont il peut faire partie de leur vie.
Comme je suis un homme blanc d’une quarantaine d’années, je ne suis pas un expert du contenu qui se trouve du côté féminin de l’espace. Il serait malhonnête de ma part de me prononcer à savoir si ce contenu est efficace ou non, mais selon tous les paramètres des médias sociaux, il s’agit d’une façon responsable de communiquer de l’information relative au cannabis.
Pour répondre à votre question à savoir si les enfants peuvent voir cela, je suppose que les enfants peuvent voir n’importe quoi, de la pornographie à la violence, en passant par les cas extrêmes de consommation de cannabis, d’alcool et de cigarettes sur Internet. Si vous jetez un coup d’œil à notre site web et à nos différentes marques, vous constaterez qu’ils ne sont pas commercialisés à l’intention des enfants. Ils s’adressent aux femmes dans le cadre d’une plateforme éducative responsable.
La sénatrice Poirier : Trouvez-vous qu’il est approprié qu’un producteur de cannabis autorisé publie du contenu qui présente des allégations non prouvées en matière de santé au sujet du cannabis? L’un ou l’autre d’entre vous peut répondre.
M. Stewart : Je serai bref, parce que je remarque aussi que le temps file. Nous devons mettre l’accent sur les allégations relatives à la santé. Il y a une différence entre les allégations relatives à la santé et les effets du cannabis sur le corps humain, ainsi que les effets à prévoir de la consommation.
Je ne pense pas qu’une entreprise puisse faire sciemment des allégations non fondées en matière de santé. Ce n’est tout simplement pas la façon canadienne de faire les choses. De nombreux consommateurs ainsi que d’autres établissements ont toutefois fait la preuve des effets de différents types de cannabis sur l’organisme. Qu’elle soit aussi simple que les effets à prévoir ce des variétés sativa ou indica, ou que la différence de durée des effets entre les produits que l’on ingère et ceux que l’on inhale, il y a beaucoup d’information qui circule pour parler des effets à prévoir sans faire d’allégations relatives à la santé.
L’une des lacunes du projet de loi C-45, c’est qu’il ne nous permettra pas de discuter des effets avec les consommateurs potentiels. Si l’on ajoute à cela la question des emballages neutres, nous nous retrouvons dans une situation où nous menottons notre régime juridique de façon à ne pas pouvoir discuter des effets et des différences entre les marques et les produits. Cela nous empêche de concurrencer le marché noir. Il faut autoriser une certaine discussion sur les effets, sans tomber dans les allégations non fondées en matière de santé.
Mme Mondin : Je voulais rapidement signaler que sur le plan de l’image de marque — et je déteste faire des comparaisons avec l’alcool —, des gens auront accès à ce produit par l’entremise de points de vente au détail réglementés. Tout d’abord, nous allons interdire l’accès aux jeunes. Donc, pour ce qui est de l’image de marque, de l’étiquetage et de l’emballage, la tutelle des parents sera importante, tout comme pour les médicaments d’ordonnance, quand l’on vous dit où les conserver et les jeter. Les mêmes règles doivent s’appliquer au cannabis.
Nous abordons toutefois ce domaine avec tellement de craintes en raison de l’inconnu qui règne autour de ce produit. Pour quelqu’un comme moi, originaire de la Colombie-Britannique, où tout cela est en place depuis des décennies, je peux vous dire que ces craintes ont été dissipées en grande partie.
Les femmes qui se rendent au magasin pour acheter un produit ont tendance à se tourner vers une marque. Elles procèdent ainsi parce qu’elles savent que lorsqu’elles ouvriront, disons, cette bouteille de vin, elles obtiendront un produit constant chaque fois, et c’est pourquoi elles adoptent une certaine marque. Les circonstances dans lesquelles ce produit a vu le jour ou la question de savoir si le producteur cultive son propre produit ou s’il sait plutôt comment obtenir un excellent produit pour créer cette marque n’ont pas d’importance pour le consommateur. Ils veulent simplement de la constance; ils ouvrent l’emballage et savent que ce sera bon.
Tout cela est possible avec le cannabis. Nous pouvons présenter une image de marque qui n’est pas attrayante pour les enfants, mais qui est quand même reconnaissable pour les adultes. J’aime le vin J. Lohr, et je sais à quoi m’attendre de ce produit quand j’en achète. Je connais l’image de marque et la constance de ce produit. On peut dire la même chose du cannabis. Je ne sais pas si le fait d’avoir une image de marque trop restrictive permet de mettre fin à cette utilisation, parce que les gens se rendront dans ces points de vente au détail pour consommer. Ils doivent savoir ce qu’ils achètent, les composés de ce produit et les effets que sa consommation peut avoir sur eux.
Encore une fois, il ne s’agit pas seulement de THC. Il y a les profils de terpènes, d’autres cannabinoïdes. La culture va changer. Elle ne restera pas à l’intérieur dans des bâtiments de type bunker comme par le passé. C’est ainsi que les choses se passaient parce que c’était illégal. Il y a eu une ruée pour cultiver une plante à la plus haute teneur possible en THC, mais je pense qu’à l’avenir nous commencerons à examiner la solidité génétique, en commençant à la pépinière où sont maintenant cultivées des plantes avec une multitude de teneurs en cannabinoïdes.
Pour faire un parallèle avec l’industrie des parfums, tout commence par des produits botaniques et par l’extraction de leurs différents composés, leur mélange et leur formulation. Vous pouvez reformuler le cannabis à des fins médicinales ou en fonction des effets intoxicants que vous recherchez. Cela dépendra du producteur et de ce qu’il sera en mesure de créer et de développer sous cette marque.