Le 7 mai 2018 - Comité des affaires sociales avec le comité directeur du comité sécurité nationale et défense et autres témoins

La sénatrice Poirier : Merci à tous pour vos exposés. J’ai deux questions. J’espère avoir assez de temps pour les poser. Les deux s’adressent à M. Freedman.

Dans une entrevue accordée au Westword en septembre 2017, vous avez dit:

Une fois qu’une industrie s’oriente dans une certaine direction, il est difficile de revenir en arrière et de la réexaminer parce que beaucoup de gens ont beaucoup de capital investi peu importe la direction choisie. Il y a donc un élan en soi. Certains des changements qui ont peut-être été faciles au départ deviennent plus difficiles à obtenir au fur et à mesure.

D’après votre expérience au Colorado, quels changements auraient été plus faciles à apporter au départ, c’est-à-dire là où se trouve le Canada, comparativement à ce qui est plus difficile à faire plus tard?

M. Freedman : Vous êtes de loin les personnes les plus difficiles devant qui agir à titre de témoin parce que vous faites effectivement vos recherches au préalable.

Parmi les trois premiers qui me viennent à l’esprit, il y a les produits comestibles, et je pense que c’est ce dont je parlais à cette occasion. C’est-à-dire proposer des règles intuitives sur les produits comestibles pour qu’un consommateur naïf sache qu’il s’offre une dose de marijuana. C’est quelque chose que j’aurais aimé que nous fassions dès le début, parce que les gens paient l’équipement utilisé pour créer ces produits comestibles passablement au début du processus; il s’agit donc soit de tout limiter à 10 milligrammes, soit de veiller à ce qu’ils soient facilement notés et démarqués et à ce que le symbole universel soit estampillé directement sur le produit.

De plus, il faut commencer par interdire certaines formes. Il n’y a tout simplement aucune raison d’utiliser un ourson en gélatine. Il faut non seulement bannir ces formes, mais aussi s’adresser directement aux membres de l’industrie pour les prier de ne pas même tenter d’aller dans ce sens sans quoi nous l’interdirons à l’avenir et ils auront donc acheté de l’équipement inutilisable plus tard. Je pense que ces deux mesures conjointes permettent à l’industrie de s’autoréglementer jusqu’à un certain point.

Le deuxième point porte sur la culture à domicile une fois qu’un droit a été accordé aux citoyens. Au Colorado, nous avons entendu des gens soutenir qu’ils avaient besoin de 99 plantes cultivées à domicile; c’est un argument que nous n’avons entendu nulle part ailleurs. Assurez-vous de disposer d’un droit irréfutable à cet égard. J’aime bien la partie de votre loi qui interdit la coopérative et qui définit clairement ce qu’est la résidence ou le logement.

Le troisième point, c’est la publicité. Encore une fois, c’est l’un de ces aspects pour lequel certains dépensent beaucoup d’argent en croyant que c’est la voie à suivre pour conquérir un vaste marché. Fixer au début du processus des règles établissant les formes les plus strictes de publicité aidera à mettre un terme à ce genre de profit industriel.

La sénatrice Poirier : Vous en avez parlé un peu au cours de votre exposé, monsieur Freedman, mais dans la même entrevue au sujet de la conduite sous l’effet de drogues, vous avez aussi traité de l’importance de faire adopter un projet de loi sur le cannabis un an à l’avance et d’utiliser cette période pour former adéquatement nos agents et recueillir des données pendant un an avant de passer à la légalisation. À votre avis, d’après votre expérience au Colorado, dans quelle mesure une année peut-elle être cruciale pour assurer la sécurité publique et l’éducation du public?

M. Freedman : Je ne suis pas sûr de pouvoir quantifier à quel point c’est crucial. Je peux vous dire que les deux ou trois premières années où nous avons recueilli des données — et c’est un peu ce que mentionnait Beau — selon notre rapport intitulé Driving While High, c’était juste après la modification des lois sur la conduite sous l’effet de drogues illicites; nous avons ensuite dépensé quelques millions de dollars pour former des experts en reconnaissance de drogues de même que des policiers. Les distorsions dans le système ont suffi à elles seules à rendre toute tendance absolument inutile.

Si vous n’arrivez pas à obtenir une formation d’un an, je suggère de choisir quelques provinces et territoires et d’offrir rapidement la formation; il est bon de recueillir des exemples de ce que vous voyez dans la rue à l’heure actuelle. Je pense qu’il serait utile à l’avenir de voir si vous observez une nouvelle dynamique du problème ou si vous avez simplement le même problème, mais que vous le repérez davantage.

Mme Madras : Je viens tout juste de voir des données de l’Hôpital général du Massachusetts produites il y a quelques jours qui comparent les opinions d’experts en reconnaissance de drogues sur des personnes intoxiquées par la marijuana à leur auto-évaluation lorsqu’ils ont consommé passablement de drogue, et à l’augmentation de la tension artérielle et d’autres paramètres. Leur taux d’exactitude était parmi les plus faibles de tous les autres paramètres qui étaient testés pour comprendre qui a ou n’a pas de facultés affaiblies en ce qui concerne la capacité de conduite.

Mme Margolis : J’ai défendu des dizaines de cas de conduite avec facultés affaiblies par le cannabis au cours des 15 dernières années. Nous sommes arrivés plus tard que le Colorado et plus tôt que vous, mais je pense qu’il est important de reconnaître que les compétences dont se servent les agents pour évaluer l’intoxication, à la fois à partir de substances contrôlées et de l’alcool et avec d’autres produits, ne sont pas nouvelles aujourd’hui. Nous n’aurons pas besoin d’un nouveau programme de formation tout comme nous n’en avions pas besoin en Oregon. Au Colorado, nous avons constaté une diminution de 16 p. 100 pour tous les types de conduite avec facultés affaiblies entre 2011 et 2016. La conduite avec facultés affaiblies par la marijuana a diminué de 33,2 p. 100 entre le premier trimestre de 2016 et celui de 2017. Dans l’État de Washington, nous avons constaté une diminution de 32,9 p. 100 pour tous les types de conduite avec facultés affaiblies entre 2011 et 2016. Au Colorado, seulement 4 p. 100 des cas de conduite avec facultés affaiblies mettaient en cause des personnes ayant obtenu un résultat positif au test de dépistage du THC, et dans l’État de Washington ce taux était de 8 p. 100.

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La sénatrice Poirier : Ma question s’adresse à Mme Madras. Le gouvernement a justifié sa décision de légaliser le cannabis en disant qu’elle empêcherait les jeunes de s’en procurer. En fait, Bill Blair, secrétaire parlementaire de la ministre de la Santé, a témoigné devant notre comité. C’est lui qui s’occupait du projet de loi. Il est venu devant notre comité il y a quelques semaines et il a dit que l’objectif de la légalisation était d’éliminer la consommation chez les jeunes. Est-ce que l’expérience des États américains qui ont légalisé le cannabis confirme cette théorie? Est-ce une observation réaliste?

Mme Madras : C’est tout à fait irréaliste, et en voici quelques-unes des raisons. L’élimination de la vente de marijuana aux jeunes n’empêche pas nécessairement les jeunes d’avoir accès à la marijuana. Par exemple, si les parents consomment de la marijuana et si les frères et sœurs plus âgés en consomment, qu’est-ce qui les empêchera de partager de la marijuana entre eux? Qu’est-ce qui va empêcher la banalisation de sa consommation dans la famille? Rien n’indique que cela changera quoi que ce soit.

Rien n’indique que la consommation de marijuana diminue de facto chez les jeunes. Les tendances observées vont dans le sens contraire. La consommation a plutôt augmenté. Nous avons observé un ralentissement jusqu’en 2007. En fait, entre 18 à 24 p. 100 des jeunes ont consommé de la marijuana alors qu’elle était illégale dans tous les États entre 2002 et 2007, selon deux enquêtes différentes. La première était de la NTF et l’autre, de la NSDA. Le retour de la normalisation et de la permissivité au sein du gouvernement fédéral a entraîné une augmentation en flèche de la consommation chez les jeunes. La consommation a augmenté, et nous avons perdu tous les gains que nous avions faits pendant cette période.

J’ai l’impression qu’en légalisant la drogue, nous contribuons à la perception chez les jeunes — j’ai des données à ce sujet ici — qu’elle est sans danger, qu’elle n’est pas nocive et que la perception de ses effets nocifs ira en diminuant.

L’excuse selon laquelle il n’y aura pas de ventes directes aux jeunes est la même que celle qui est invoquée pour l’alcool et le tabac. Il faut avoir plus de 18 ans pour acheter de l’alcool et plus de 21 ans pour acheter du tabac, mais cela n’a jamais empêché les jeunes d’avoir accès à ces substances.

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