Le 1er juin 2023 - Débat en deuxième lecture du projet de loi C-13 - La modernisation de la Loi sur les langues officielles
Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui à l’étape de la deuxième lecture, comme porte-parole du projet de loi C-13, Loi modifiant la Loi sur les langues officielles, édictant la Loi sur l’usage du français au sein des entreprises privées de compétence fédérale et apportant des modifications connexes à d’autres lois, connue comme la modernisation de la Loi sur les langues officielles.
Finalement, chers collègues, après un processus qui a commencé au Sénat en 2017 par le début de l’étude sur la modernisation de la Loi sur les langues officielles effectuée par le Comité sénatorial des langues officielles, après maintes promesses du gouvernement fédéral faites depuis cinq ans, un projet de loi est déposé, quelques mois avant une élection et sa mort au Feuilleton. Nous voilà avec un projet de loi visant la modernisation de la Loi sur les langues officielles.
Je ne pourrais commencer mon discours en deuxième lecture sans reconnaître le travail que notre comité a fait depuis 2017 sur ce sujet. Comme comité, nous avons rencontré plus de 300 témoins, visité le Manitoba, l’Île-du-Prince-Édouard et le Nouveau-Brunswick. Nous avons de plus accueilli de jeunes Canadiens afin de prendre en compte leur perspective sur la modernisation de la Loi sur les langues officielles, car comme nous sommes dans l’âge mûr de nos vies, chers collègues, les changements à la loi profiteront aux générations futures.
Enfin, je me réserve quelques mots pour mon cher collègue le sénateur René Cormier, qui comme président du comité, nous a obligés à collaborer de façon régulière. Enfin, je ne pourrais pas demander mieux comme président du comité, pour diriger le travail que nous faisons. Merci.
Chers collègues, comme vous le savez sans doute, la Loi sur les langues officielles a été mise en place en 1969 et a un statut quasi constitutionnel. Sa dernière mise à jour majeure a eu lieu en 1988, et le besoin d’un renouvellement était criant.
Depuis que je suis membre du Comité permanent des langues officielles, en 2012, les commentaires ont toujours été semblables : la loi ne répond pas aux réalités des années 2000, elle manque de mordant, les pouvoirs du commissaire aux langues officielles sont trop limités, et j’en passe. L’étude du comité a peut-être seulement débuté en 2017, mais elle a été inspirée par toutes les études des années précédentes.
Permettez-moi de donner quelques exemples, honorables sénateurs. Le Comité sénatorial permanent des langues officielles a présenté un rapport le 31 mai 2017 intitulé Horizon 2018 : Vers un appui renforcé à l’apprentissage du français en Colombie-Britannique. Une des principales recommandations du rapport demandait que les institutions fédérales tiennent compte des besoins des communautés linguistiques minoritaires lors de la vente de biens immobiliers. Si le projet de loi C-13 est adopté, cette demande sera mise en œuvre dans la Loi sur les langues officielles modernisée. Plus tôt cette année, j’ai rencontré des représentants de la Fédération nationale des conseils scolaires francophones et ils ont mentionné qu’il s’agissait d’un besoin important. Heureusement, les amendements adoptés par le comité à l’autre endroit ont permis d’ajouter cette mesure.
C’est l’une des nombreuses modifications proposées dans le projet de loi C-13 qui sont inspirées des demandes du milieu et des groupes de pression faites auprès du gouvernement et des comités parlementaires. Cela témoigne de la valeur des études spéciales que font nos comités permanents. Elles nous donnent la capacité et la flexibilité voulue pour nous investir à fond dans l’étude d’une question pendant plusieurs mois, voire des années, en vue de proposer des recommandations au gouvernement. Ces recommandations peuvent être utilisées comme fondement des décisions stratégiques du gouvernement en place et de celles des gouvernements qui le suivront.
Le paysage linguistique du Canada a beaucoup évolué. Chaque année, depuis 52 ans, le poids démographique des francophones diminue au Québec ainsi qu’à l’extérieur de celui-ci. En 1971 — l’année où le recensement a commencé à recueillir des données sur les langues —, 27,5 % des Canadiens ont déclaré avoir le français comme langue maternelle, alors qu’ils n’étaient que 6,1 % à l’extérieur du Québec. Cinquante ans plus tard, lors du dernier recensement, en 2021, la proportion de Canadiens ayant indiqué avoir le français comme langue maternelle était de 21,4 %, et de 3,3 % à l’extérieur du Québec.
Dans un rapport publié le 17 août 2022, Statistique Canada indique ce qui suit :
Depuis 1971, soit la première année de recensement pour laquelle des renseignements sont recueillis sur la première langue officielle parlée, le nombre et la proportion de Canadiens dont la première langue officielle parlée est l’anglais sont en croissance.
Évidemment, l’anglais étant prédominant non seulement au Canada, mais à l’international, il est compréhensible que cette langue prenne de l’ampleur dans notre pays en raison de l’immigration. L’immigration demeure la raison principale de la perte du poids démographique des francophones au pays.
Cependant, le bilinguisme et la dualité linguistique demeurent des valeurs phares au pays, et le gouvernement se doit de protéger le français d’un océan à l’autre. C’est pour cette raison qu’il nous faut une politique d’immigration francophone ambitieuse qui donne aux communautés francophones hors Québec la chance d’évoluer au même rythme. Par exemple, au Nouveau-Brunswick, comme partout au Canada, nous avons une pénurie de main-d’œuvre dans le domaine de la santé.
Il est important qu’une politique d’immigration francophone prenne en compte les différents besoins des communautés francophones en situation minoritaire, comme celui de la main-d’œuvre dans le domaine de la santé.
Statistique Canada cite deux autres facteurs pour expliquer le déclin démographique : celui d’une population en moyenne plus âgée, car une population plus âgée compte généralement plus de décès, et la transmission incomplète du français d’une génération à la suivante.
Le gouvernement fédéral a un rôle clé à jouer pour que le français se transmette de génération en génération, en subissant un minimum de perte. Des initiatives comme le Plan d’action pour les langues officielles sont essentielles pour la transmission générationnelle du français, d’autant plus dans le contexte actuel, où le français est en déclin partout au pays.
C’est pour cette raison que la partie VII de la Loi sur les langues officielles doit être modifiée. La partie VII indique l’engagement du gouvernement du Canada à favoriser l’épanouissement des minorités francophones et anglophones au moyen de mesures positives. Depuis plusieurs années, les intervenants demandent au gouvernement d’améliorer la mise en œuvre de la partie VII. Aujourd’hui, dans le cadre du projet de loi C-13, on espère que les responsabilités du gouvernement seront clairement établies et que les droits des minorités francophones et anglophones seront respectés par le gouvernement.
Par exemple, c’est également dans la partie VII que le projet de loi C-13 propose d’ajouter une modification concernant le dénombrement des ayants droit. Selon la Fédération nationale des conseils scolaires francophones, le réseau scolaire francophone de neuf provinces et trois territoires, on comptait près de 173 000 élèves pour l’année scolaire 2021-2022.
Cependant, le potentiel est encore plus grand. Selon le recensement de 2021, 897 000 enfants de moins de 18 ans au 31 décembre 2020 étaient admissibles à l’instruction au primaire et au secondaire dans la langue officielle minoritaire, c’est-à-dire 304 000 enfants admissibles à l’instruction en anglais au Québec et 593 000 à l’instruction en français à l’extérieur du Québec. Statistique Canada rapporte également ce qui suit :
Au Canada hors Québec, 292 000 enfants d’âge scolaire ont pris part à un programme régulier d’instruction en français dans une école de langue française au Canada au primaire ou au secondaire, ce qui représentait 64,7 % des enfants admissibles âgés de 5 à 17 ans. [...] Au Québec, 175 000 enfants d’âge scolaire ont fréquenté une école de langue anglaise au Canada, que ce soit au primaire ou au secondaire, ce qui représentait 76,2 % des enfants admissibles âgés de 5 à 17 ans de cette province.
Il est donc impératif, pour la survie du français et de l’anglais en contexte minoritaire, que ces enfants puissent recevoir leur éducation dans leur langue afin d’augmenter les chances que le français et l’anglais en contexte minoritaire soient transmis de génération en génération. Pour les communautés linguistiques en situation minoritaire, il est primordial pour notre survie et notre plein épanouissement que la transmission de la langue et de la culture débute dans la salle de classe. Dès leur enfance, les enfants tissent des liens avec des amis qui parlent comme eux et baignent dans leur culture tout au long de leur parcours scolaire.
J’aimerais prendre un moment pour souligner ce que le Comité des langues officielles a entendu dans le cadre de son premier rapport de l’étude sur la modernisation de la Loi sur les langues officielles, c’est-à-dire le point de vue des jeunes Canadiens. Les changements proposés par le projet de loi C-13 sont essentiellement pour eux et un peu moins pour nous, à notre âge. Ces changements sont pour nos enfants, et plus probablement pour nos petits-enfants. Lorsque nous avons rencontré les représentants de la jeunesse, ce qui m’a frappé, c’est leur détermination à apprendre les deux langues. Le bilinguisme et la dualité linguistique sont des valeurs claires qu’ils soutiennent et respectent. Nous faisons ce travail pour eux. Voici quelques-uns des témoignages qui ont été entendus, à commencer par celui de Thomas Haslam :
Ce sont ces possibilités, offertes et appuyées par le gouvernement fédéral, qui motivent les jeunes Canadiens à devenir bilingues et à exprimer leur identité culturelle auprès des autres. Dans le cadre de ces expériences, les jeunes Canadiens font une expérience plus intensive du français que ce à quoi ils sont peut-être habitués. Lorsqu’ils retournent dans leurs collectivités riches de nouvelles compétences et plus motivés que jamais, les participants à ces concours oratoires, à ces échanges d’étudiants, à ces jeux francophones et à ces assemblées de jeunes peuvent embrasser davantage la culture de leur région et contribuer à promouvoir la croissance de la langue française dans leurs collectivités.
Le témoignage suivant est celui de Gabriela Quintanilla :
Nous avons besoin de l’aide de la loi fédérale pour faire valoriser la dualité linguistique. Je ne veux plus faire face à un fonctionnaire ou un gérant provincial et me faire ridiculiser parce que j’ai osé lui demander s’il y avait des cours de conduite en français. Je ne veux plus entrer dans un aéroport où je me sens comme un mal de tête parce que je leur ai répondu en français lorsqu’ils m’ont saluée en disant « Hello, bonjour ». Je ne veux plus être intimidée dans une place publique parce que je choisis de m’exprimer en français avec mes amis. Je ne veux plus entendre les jeunes dans les programmes d’immersion française dire qu’ils ne parlent plus le français à cause de leur insécurité linguistique.
Comme ces citations le démontrent, ce sont de vrais cris du cœur que le comité a entendus de la part de jeunes Canadiens en ce qui concerne la dualité linguistique et le bilinguisme.
Selon un sondage mené en 2021 par le commissaire aux langues officielles, l’appui aux langues officielles reste solide et une forte majorité continue d’appuyer l’enseignement de l’autre langue officielle comme langue seconde. L’appui net à la Loi sur les langues officielles se chiffrait à 81 % pour les répondants en ligne et à 87 % pour les répondants téléphoniques. À l’énoncé « On devrait continuer à enseigner le français et l’anglais dans les écoles primaires au Canada. », l’accord atteignait 91 % au téléphone et 86 % sur Internet. Manifestement, les Canadiens de partout au pays appuient ces valeurs.
De plus, en ce qui concerne la Loi sur les langues officielles, les intervenants ont maintes fois réclamé que le gouvernement fédéral exerce un meilleur leadership. Depuis 1988, la responsabilité de la coordination des efforts et de l’application de la loi devient un problème de plus en plus marqué. Il s’agissait surtout, alors, d’une approche décentralisée. Le ministre du Patrimoine canadien avait un rôle à jouer, mais le Conseil du Trésor veillait aussi à l’application de certaines dispositions. Tout était embrouillé, c’est le moins qu’on puisse dire, et il pouvait être difficile d’appliquer la loi. Les intervenants réclamaient une coordination centralisée des questions relatives aux langues officielles. L’une des questions qui revenaient le plus souvent pendant notre étude et notre étude préalable, c’était de savoir qui devrait coordonner la loi : Patrimoine canadien ou le Conseil du Trésor? Plus l’étude avançait, plus cette tâche revenait au Conseil du Trésor. C’est la position qu’avait notre comité en 2019, et heureusement, le comité de la Chambre des communes a amendé le projet de loi C-13 de façon à confier ce rôle au Conseil du Trésor. Les intervenants ont bon espoir que la loi sera mieux appliquée au sein de la fonction publique de cette façon, et que le Cabinet s’emploiera à faire respecter la Loi sur les langues officielles.
Prenez, par exemple, la cause de la Fédération des francophones de la Colombie-Britannique qui s’est plainte que le gouvernement fédéral manquait à ses obligations linguistiques dans la mise en œuvre d’une entente sur le développement du marché du travail. Après une dizaine d’années devant les tribunaux, la Cour d’appel fédérale a reconnu, en janvier 2022, que le gouvernement fédéral n’avait pas favorisé l’épanouissement des communautés francophones de cette province et lui a imposé de s’adapter.
Or, en mars 2022, pendant le même mois où le gouvernement a déposé le projet de loi C-13 pour protéger les communautés linguistiques en situation minoritaire, il a d’abord déclaré vouloir faire appel de la décision avant de décider, à la toute dernière minute, de ne pas amener les francophones en situation minoritaire devant la Cour suprême.
Ce n’est qu’une situation parmi tant d’autres qui illustre pourquoi nous avons besoin d’un leadership fort au sein du Cabinet pour garantir le respect des droits linguistiques des minorités francophones hors Québec et des anglophones au Québec. D’un côté, le gouvernement fédéral se disait le défenseur des droits linguistiques des communautés linguistiques en situation minoritaire et de l’autre côté, il voulait contester le gain de ces communautés.
Un leadership fort et centralisé est donc essentiel à la pleine reconnaissance des droits des minorités linguistiques. Que se passe-t-il lorsque les droits ne sont pas protégés? Nous avons un agent du Parlement, le commissaire aux langues officielles, qui, depuis 1970, veille à la reconnaissance du statut de chacune des langues officielles et au respect de l’esprit de la présente loi.
Il joue plusieurs rôles : ombudsman, promoteur, éducateur, rapporteur, et j’en passe. Dans sa boîte à outils, il dispose de plusieurs moyens pour inciter le gouvernement fédéral et les organismes assujettis à la loi à la respecter. Cependant, force est de constater que ces pouvoirs doivent désormais être modernisés à leur tour.
Vous vous souvenez peut-être, chers collègues, de l’ancien commissaire aux langues officielles, Graham Fraser, qui, au terme de ses 10 années de mandat, concluait dans un rapport qu’il avait fait tout ce qu’il pouvait afin qu’Air Canada s’acquitte de ses obligations linguistiques. Un passage du rapport indique ce qui suit :
Tout comme mes prédécesseurs, j’ai utilisé, sans succès, divers pouvoirs que la Loi me confère afin de tenter d’obliger Air Canada à mieux respecter ses obligations linguistiques à l’égard du public voyageur. Après des centaines d’enquêtes et de recommandations, après une vérification exhaustive et après deux recours, dont l’un jusqu’à la Cour suprême du Canada, force est de constater que mes multiples interventions, à l’instar de celles de mes prédécesseurs, n’ont pas donné les résultats souhaités.
On peut également lire ce qui suit un peu plus loin :
Malgré des améliorations sporadiques et des plans d’action parfois prometteurs, le temps est venu de constater que les pouvoirs que je possède en vertu de la Loi sont insuffisants à l’égard d’Air Canada. Mes prédécesseurs et moi-même avons utilisé tous nos pouvoirs et avons fait des centaines de recommandations afin d’amener Air Canada à mieux respecter ses obligations linguistiques à l’égard du public voyageur, mais tous ces efforts n’ont pas été suffisants.
Comme vous pouvez le constater, chers collègues, le commissaire a utilisé tous les outils possibles. Je ne veux pas me concentrer uniquement sur Air Canada, mais c’est l’exemple qui revient depuis le premier jour de l’entrée en vigueur de la Loi sur les langues officielles. Les droits linguistiques de tous les Canadiens doivent être respectés et le commissaire a besoin de plus d’outils que de simples recommandations pour s’assurer que la loi soit bien respectée par tous.
Le leadership au sein du gouvernement ne se limite pas au Cabinet. Dans la fonction publique, certains postes de haut niveau dans divers ministères exigent la maîtrise des deux langues. Il incombe aux institutions, notamment aux tribunaux, de faire progresser l’égalité quant à l’accès à la justice dans la langue officielle du choix du citoyen, et de veiller à ce que davantage de décisions soient traduites sans délai.
Toutes ces valeurs nous sont chères et sont essentielles au progrès du français et de l’anglais au Canada. Comme la loi n’a pas été remaniée de façon substantielle depuis 1988 — époque où le téléphone se limitait à une ligne terrestre alors qu’aujourd’hui, nous le transportons dans nos poches et qu’il nous donne accès au monde entier —, il était grand temps de revoir la loi et d’y apporter les modifications nécessaires pour assurer la survie et l’avancement de l’anglais et du français au Canada.
Le projet de loi C-13 est-il parfait? Je ne le crois pas. J’estime que le gouvernement a raté quelques belles occasions. Par exemple, nous avons été saisis du projet de loi le 18 mai 2023, soit 14 mois après la première lecture à l’autre endroit. Le gouvernement établit toujours l’ordre du jour, qu’il soit majoritaire ou minoritaire sans l’appui d’un autre parti ou avec un tel appui, comme c’est le cas au cours de la présente législature.
Un gouvernement ne peut uniquement blâmer l’opposition pour le retard dans l’étude d’un projet de loi, particulièrement lorsque l’opposition a voté pour la mesure en question à toutes les étapes du processus. Maintenant, on nous demande d’adopter le projet de loi à toute vapeur avant l’été. Il y a un an, le gouvernement nous a demandé d’en faire une étude préalable. Nous devons avoir battu un record, soit le plus long délai entre le début d’une étude préalable et la fin de la deuxième lecture d’un projet de loi. De plus, le projet de loi nous est renvoyé avec près de 50 amendements. Or, ce n’est pas ainsi que le Parlement est censé fonctionner. Cette approche n’est pas dans l’intérêt des Canadiens.
La modernisation de la Loi sur les langues officielles aurait dû être l’occasion de vivre un moment historique et de réaffirmer notre engagement envers le bilinguisme et la dualité linguistique, mais les résultats sèment plutôt la discorde. Les Anglo-Québécois ont encore des réserves au sujet du projet de loi C-13, et les garanties données par le gouvernement ne les ont pas encore rassurés. De leur côté, les francophones hors Québec sont épuisés d’attendre. Le report du projet de loi ne fait que les rendre de plus en plus anxieux. Où qu’elles soient, les communautés linguistiques ne devraient pas se diviser à l’idée que le gouvernement fédéral fasse valoir leurs droits, mais s’en réjouir.
Honorables sénateurs, j’ai du mal à concevoir comment le gouvernement peut défendre le projet de loi C-13 alors qu’il fait encore l’objet d’autant de critiques et attendre autant avant de le soumettre au second examen objectif de notre assemblée. En 2019, la préface du rapport du comité découlant de l’étude sur la modernisation de la Loi sur les langues officielles se terminait ainsi :
Le gouvernement fédéral a donc tout en main pour actualiser cette Loi, qui est au cœur du contrat social du Canada. Ensemble, unissons-nous pour faire de l’égalité des deux langues officielles une réalité que chaque Canadien et Canadienne pourra vivre au quotidien, de façon concrète et réelle, d’un bout à l’autre du pays.
Je comprends tout à fait que la pandémie de COVID-19 ait fait en sorte que le dépôt du projet de loi a été repoussé. Toutefois, il m’est encore difficile de saisir comment, après tout le travail accompli par le Comité sénatorial permanent des langues officielles en 2017, le Commissariat aux langues officielles et tous les intervenants, par exemple la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada et le Quebec Community Groups Network, qui ont soumis des documents d’information exhaustifs, les propres consultations du gouvernement, le dépôt d’un livre blanc et du projet de loi C-32 lors de la législature précédente, le Comité des langues officielles de l’autre endroit a quand même examiné plus de 200 amendements, pour en adopter 50 au bout du compte. Aujourd’hui, il est minuit moins quart et nous devons nous empresser de faire franchir toutes les étapes à un projet de loi parce que le gouvernement n’a pas mis de l’ordre dans ses affaires.
En revanche, est-ce que le projet de loi C-13 est bénéfique pour les droits linguistiques des communautés en situation minoritaire? Il représente un pas dans la bonne direction.
Grâce à certains amendements apportés par le Comité des langues officielles de la Chambre des communes, la modernisation de la Loi sur les langues officielles répond davantage aux besoins des communautés en situation minoritaire.
Comme les statistiques l’ont montré, le fait français est précaire au Canada et l’effet de tout changement apporté à la loi se fera ressentir au cours des années à venir. L’accès à l’éducation est à la base de la vitalité de toutes les communautés linguistiques en situation minoritaire. En effet, plus de 35 % des francophones en situation minoritaire ne sont pas inscrits dans une école francophone, et près de 24 % des anglophones ne le sont pas non plus.
L’évaluation du projet de loi C-13 se fera en grande partie grâce aux progrès en matière d’accès à l’éducation des ayants droit et au poids démographique des francophones au prochain recensement. Ces progrès dépendront du leadership du gouvernement fédéral.
En conclusion, honorables sénateurs, selon moi, le gouvernement aurait dû laisser au Sénat la latitude nécessaire pour porter un second examen attentif sur le projet de loi C-13, surtout dans le contexte des nombreux amendements qui ont été présentés à la suite de notre étude préalable.
Après tout, notre comité possède une expertise particulière, en raison de la composition des membres du comité qui ont étudié cette question, qui est restée intacte.
Pourquoi ne pas nous donner le temps de bien étudier le projet de loi plutôt que de nous imposer de l’étudier à la va-vite? Un second examen attentif aurait été bénéfique non seulement pour améliorer le projet de loi, s’il y a lieu, mais aussi pour faire des commentaires et des observations qui seraient utiles pour un éventuel suivi de la modernisation de la Loi sur les langues officielles.
Je reste toutefois en faveur de la modernisation de la Loi sur les langues officielles et je voterai en faveur du projet de loi C-13, tout comme mes collègues de l’autre endroit l’ont fait. Le projet de loi représente un pas en avant pour les droits linguistiques au pays.
C’est indéniable : le bilinguisme et la dualité linguistique demeurent des valeurs fortes de notre pays, comme le prouve le fait que la quasi-totalité des députés a voté en faveur du projet de loi. C’est indéniable : le gouvernement fédéral doit en faire plus en assumant un plus grand rôle de leader et de champion des langues officielles.
En effet, ce leadership demeure essentiel à la réussite de la Loi sur les langues officielles, peu importe comment elle est modifiée. Le respect total des droits des communautés anglophones et francophones et le plein épanouissement des communautés linguistiques en situation minoritaire dépendent du leadership dont fera preuve le gouvernement fédéral.
Merci de m’avoir écoutée, honorables sénateurs.