Le mardi 16 mars 2021 - Projet de loi C-24, Loi modifiant la Loi sur l’assurance-emploi, la Loi sur les prestations canadiennes de relance économique et une autre loi en réponse à la COVID-19 - Débat en deuxième lecture
L’honorable Rose-May Poirier : Honorables sénateurs, c’est à titre de porte-parole officielle de l’opposition que je prends la parole aujourd’hui, et il sera question du projet de loi C-24, Loi modifiant la Loi sur l’assurance-emploi (prestations régulières supplémentaires), la Loi sur les prestations canadiennes de relance économique (restriction de l’admissibilité) et une autre loi en réponse à la COVID-19.
Je ne décortiquerai pas le texte en détail, puisque la sénatrice LaBoucane-Benson, qui en est la marraine, en a très bien expliqué les tenants et les aboutissants, mais en deux mots, le projet de loi C-24 facilite l’accès à l’assurance-emploi en faisant temporairement passer à 50 le nombre de semaines de prestations qu’une personne peut toucher, à condition que sa demande ait été présentée entre le 27 septembre 2020 et le 25 septembre 2021. Il permet aussi aux travailleurs autonomes du pays d’avoir plus facilement droit à des prestations.
La deuxième partie du texte vise pour l’essentiel à corriger une erreur de la part du gouvernement. Comme c’est la coutume depuis le début de la pandémie, les programmes de prestations spéciales du gouvernement ont été adoptés à toute vitesse par le Parlement, sans que celui-ci puisse les étudier à fond. Je comprends que, dans certaines situations, il faille faire vite, et la preuve que le caucus conservateur l’a bien compris, c’est qu’il a tendu la main au gouvernement et accepté que les projets de loi correspondants soient adoptés rapidement, car il fallait que les personnes qui avaient besoin d’aide en obtiennent sans tarder. Cela dit, j’estime que ce raisonnement ne s’applique pas au projet de loi dont nous sommes saisis, car il a été adopté sous pression au début de l’automne, après la prorogation du Parlement. Essayez de comprendre, pour voir : le gouvernement n’a pas prorogé le Parlement une seule fois pendant son premier mandat, mais il a jugé que la pandémie offrait un contexte parfait pour le proroger durant un mois.
Les honorables sénateurs se souviendront que le projet de loi C-4 a été présenté à la Chambre des communes le 29 septembre et qu’il a été adopté rapidement par les deux Chambres avant de recevoir la sanction royale le 2 octobre. Autrement dit, il a été présenté à la Chambre des communes le mardi et promulgué par la gouverneure générale de l’époque le vendredi, avant l’heure du souper. Ce n’est toutefois qu’à la fin février que le gouvernement a présenté le projet de loi C-24 dans le but de corriger l’erreur qui avait été repérée. De plus, la deuxième lecture ne s’est produite que plus d’un mois plus tard, le 8 mars 2021. Il est décevant que le gouvernement ait attendu des mois avant d’éliminer l’échappatoire de la Prestation canadienne de maladie pour la relance économique et de fournir des prestations supplémentaires au moyen de l’assurance-emploi. Le fait qu’il se soit traîné les pieds au lieu de régler des enjeux cruciaux pour les Canadiens en cette période de crise socioéconomique témoigne d’un manque de leadership.
Le problème, c’est que les Canadiens qui ont besoin d’aide sont confrontés à messages contradictoires à propos des échappatoires non réglées et quand il s’agit de déterminer qui est admissible à quelle prestation, pendant combien de temps, comment présenter une demande, et ainsi de suite. Permettez-moi, honorables sénateurs, d’illustrer cette situation en parlant de l’expérience de mon bureau, qui est probablement semblable à celle d’autres bureaux. Nous avons reçu énormément de demandes et de questions sur les prestations de la part de Canadiens inquiets. lls avaient du mal à s’y retrouver en raison du manque de clarté et des messages changeants, contradictoires et erronés du gouvernement.
Je me permets d’énumérer les programmes: la Prestation canadienne de la relance économique, ou PCRE; la Prestation canadienne de la relance économique pour proches aidants, ou PCREPA; la Prestation canadienne de maladie pour la relance économique, ou PCMRE; la Prestation canadienne d’urgence, ou PCU; la Prestation canadienne d’urgence pour les étudiants, ou PCUE. Ajoutons à cela la Subvention salariale d’urgence du Canada, ou SSUC, et la Subvention d’urgence du Canada pour le loyer, ou SUCL, mises en place pour aider les entreprises. Enfin, il y a le programme d’assurance-emploi.
Avec tous ces programmes — PCRE, PCREPA, PCMRE, PCU, PCUE, SSUC et SUCL —, on peut se demander par où commencer pour demander de l’aide. Les critères d’admissibilité changent tous les jours. On peut recevoir des prestations d’assurance-emploi un jour, la PCU le lendemain, puis encore des prestations d’assurance-emploi. Pour bien des Canadiens, c’était la première fois qu’ils se tournaient vers des programmes gouvernementaux pour obtenir de l’aide, et il a dû être encore plus difficile pour eux d’obtenir les réponses et l’aide dont ils avaient besoin.
Non seulement ils ont été bombardés de messages du gouvernement fédéral, mais ils ont dû tenir compte également des normes et des programmes provinciaux. Chaque province avait sa propre loi sur les mesures d’urgence et son propre système de restrictions avec un code de couleurs. Les provinces offraient aussi leurs propres programmes d’aide aux entreprises et aux particuliers. Ainsi, un Canadien qui voulait de l’aide pour joindre les deux bouts pouvait être obligé de s’informer sur plus d’une demi-douzaine de programmes et de déterminer ceux auxquels ils avaient droit. J’espère qu’on passera en revue les mesures prises par le gouvernement en réponse à la pandémie de COVID-19 et qu’on se penchera plus particulièrement sur l’importance pour le gouvernement de communiquer des messages clairs et directs et d’offrir des programmes d’aide plus simples pour les Canadiens qui voudront de l’aide lors des prochaines situations d’urgence.
Au bout du compte, les mesures que nous avons adoptées au Parlement dans la dernière année ont eu un effet direct sur des millions de Canadiens qui ont perdu la totalité ou une partie de leurs revenus. Alors que le nombre de cas et de décès commence enfin à diminuer dans l’ensemble du pays, il ne faut pas oublier que des millions de Canadiens souffrent encore des conséquences de la pandémie de COVID-19.
Selon l’Enquête sur la population active, en janvier 2021, le taux de chômage a grimpé à 9,4 % et 18 272 000 Canadiens étaient employés, par rapport à janvier 2020, où le taux de chômage s’élevait à 5,5 % et 19 159 000 Canadiens étaient employés. Par ces chiffres, on peut voir que la COVID-19 a nui considérablement à la capacité d’environ 1 million de Canadiens de subvenir aux besoins de leur famille. En outre, d’après l’Enquête sur la population active de janvier 2021 :
Le nombre de chômeurs de longue durée (les personnes qui cherchent du travail ou qui ont été mises à pied temporairement depuis 27 semaines ou plus) s’est maintenu à un niveau record (512 000).
C’est environ la moitié des chômeurs de l’année dernière qui cherchent du travail ou qui ont été mis à pied temporairement depuis plus de 27 semaines. N’oublions pas que cela n’inclut pas les personnes dont le revenu a diminué à cause d’une pénurie de travail, d’une réduction des heures de travail ou de la nécessité pour les entreprises de baisser les salaires pour survivre. Les chiffres ne racontent pas toute l’histoire.
Les jeunes Canadiens doivent jouer un rôle déterminant dans la reprise économique, et le gouvernement doit prendre des mesures proactives pour les aider avant qu’il soit trop tard. Une étude de la RBC a révélé que, dans toutes les provinces et les grandes villes canadiennes, les jeunes âgés de 14 à 29 ans sont devenus bien plus pessimistes qu’avant en ce qui concerne leurs perspectives d’emploi et leur aptitude à trouver un emploi. Le gouvernement devra agir rapidement pour stimuler l’économie ainsi que pour augmenter la confiance et les perspectives d’emploi des jeunes.
Alors que je préparais mon discours, l’Enquête sur la population active de février a été publiée. Il n’est que juste de préciser que le taux de chômage a baissé, passant de 9,4 % en janvier à 8,2 % pour le mois dernier. Il est rassurant de voir le taux diminuer, mais Statistique Canada prévient que nous ne sommes pas au bout de nos peines. En effet, la baisse de 1,2 % est principalement attribuable à la reprise de l’activité économique dans les domaines de la vente au détail et de la restauration, le mois dernier, au Québec et en Ontario. Comparativement à il y a 12 mois, 599 000 personnes de moins occupent un emploi et 406 000 personnes de plus travaillent moins de la moitié du nombre d’heures qu’elles avaient l’habitude de travailler.
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La nouvelle Enquête sur la population active publiée en février fait le point sur la situation des jeunes :
Le taux de chômage des jeunes a diminué de 2,6 points de pourcentage pour s’établir à 17,1 % en février. Il s’agit d’un taux similaire au récent creux observé en novembre 2020, mais d’un taux tout de même plus élevé que celui enregistré un an plus tôt (10,4 %). Le taux de chômage a diminué tant chez les jeunes hommes (-3,2 points de pourcentage pour s’établir à 16,1 %) que chez les jeunes femmes (-2,0 points de pourcentage pour s’établir à 18,1 %). Le taux de chômage est habituellement plus élevé chez les jeunes hommes que chez les jeunes femmes. Cette tendance a toutefois a été inversée en raison des confinements de mars et avril 2020 et de janvier et février 2021 étant donné que la moitié des jeunes femmes travaillent dans les services d’hébergement et de restauration et dans le commerce de détail — des secteurs parmi les plus touchés par les restrictions liées à la pandémie.
J’en parle rapidement, honorables sénateurs, parce que je crains que le gouvernement commence à perdre l’objectif de vue. Il voit la fin potentielle d’une pandémie approcher grâce au lent déploiement de la vaccination et, bien franchement, notre relance économique doit se faire avec plus de vigueur et de proactivité.
On constate, avec le projet de loi C-24, que le gouvernement commence tranquillement à modérer ses mesures de soutien à un moment où il doit garder le cap sur ce qui importe le plus : protéger les Canadiens de la COVID-19 et veiller à ce que le confinement auquel ils sont soumis depuis un an ne nuise pas à leurs possibilités d’emploi plus longtemps que nécessaire.
Les entreprises canadiennes sont prêtes à mettre la main à la pâte et à jouer un rôle dans la réduction de la transmission de la COVID-19. Des groupes d’entreprises, notamment la Chambre de commerce du Canada, ont fait parvenir une lettre au premier ministre disant qu’ils veulent faire partie de la solution globale en vue de gérer la pandémie et de revenir à la normalité plus rapidement.
Le projet de loi C-24 modifie également la Loi sur l’assurance-emploi afin que les travailleurs autonomes canadiens ayant subi une perte de revenus puissent plus facilement avoir accès aux prestations d’assurance-emploi. La pandémie nous a également montré que les filets de sécurité comme l’assurance-emploi doivent être adaptés à l’économie du XXIe siècle. Les paramètres actuels de l’assurance-emploi sont conçus en fonction d’une économie où c’était la norme pour les travailleurs d’occuper le même emploi de 9 à 5 au sein de la même entreprise pendant 25 ans. Aujourd’hui, avec l’avènement de l’économie de petits boulots, les travailleurs à la demande ne sont pas employés à long terme par la même entreprise. Selon une étude réalisée par Statistique Canada sur les données fiscales, la proportion des travailleurs à la demande parmi tous les travailleurs est passée de 5,5 % en 2005 à 8,2 % en 2016, et ce, exclusivement dans l’économie numérique. Cela comprend notamment les chauffeurs d’Uber, les personnes qui louent leur logement sur Airbnb, etc., qui représentent 5,5 % de la totalité de l’activité économique au Canada.
Alors que les Canadiens se sont adaptés aux nouvelles réalités depuis le début, le programme d’assurance-emploi est demeuré bloqué au milieu du XXe siècle. De trop nombreuses personnes sont passées entre les mailles du filet de l’assurance-emploi.
La pandémie a mis au jour les grandes failles des programmes d’assurance-emploi : ils ne sont pas facilement adaptables et ne sont pas conçus pour répondre aux besoins d’un nombre considérable de Canadiens. Le gouvernement a constamment dû modifier les critères d’admissibilité et le nombre de semaines de prestations pour aider les Canadiens qui avaient besoin d’un coup de main. Il a dû intervenir de nouveau en présentant le projet de loi C-24, pour aider les travailleurs autonomes, comme il l’avait fait en mai pour les travailleurs saisonniers et à l’automne, pour les mères, par voie de règlement.
Pendant la pandémie, le temps pressait, mais la désuétude du système d’assurance-emploi a retardé le versement des prestations aux Canadiens qui les attendaient. Une fois que les autres programmes ont été mis en place, il n’y a pas eu simplification du processus entre les divers ministères, ce qui a entraîné des retards et des frustrations pour les Canadiens.
Je songe au cas d’une Ontarienne qui a eu de la difficulté à s’y retrouver dans les changements apportés aux prestations d’urgence pendant la pandémie de COVID-19. Cette mère de deux enfants qui travaillait dans le secteur de la vente au détail avait perdu son emploi au printemps dernier à cause de la pandémie. Elle a d’abord touchée la PCU, puis elle est passée à l’assurance-emploi en septembre. Cependant, comme elle travaille à temps partiel, la moitié de son salaire est récupéré. En janvier, comme elle était la seule personne à pouvoir s’occuper de sa fille de cinq ans lorsque les écoles ont été fermées à London, elle a déclaré dans sa demande de prestations d’assurance-emploi qu’elle n’était pas disponible pour travailler. Dès lors, elle n’était plus admissible à l’assurance-emploi parce que les demandeurs doivent être disponibles pour travailler.
La jeune femme a alors fait une demande au titre de la Prestation canadienne de maladie pour la relance économique, mais on lui a dit qu’elle n’était pas admissible parce qu’elle avait déjà fait une demande à l’assurance-emploi. Nous sommes en mars, mais elle n’a toujours pas reçu d’argent pour ces deux semaines en janvier. Je cite ce que cette jeune mère a déclaré aux médias.
De nombreuses personnes se retrouvent dans une situation comme la mienne où pendant deux semaines, elles n’ont aucune rentrée d’argent. Ça fait peur et, pour bien des gens, ce manque d’argent les empêchera de payer le loyer ou la mensualité hypothécaire ou d’acheter de la nourriture.
Je suis consciente que le gouvernement a promis de réformer le régime d’assurance-emploi, mais j’ai appris, en tant qu’ancienne membre du Comité sénatorial permanent des langues officielles, qu’il ne tient pas nécessairement parole, malgré ses promesses. Nous l’avons souvent entendu répéter qu’il moderniserait la Loi sur les langues officielles. Pourtant, deux ans après que le comité sénatorial ait publié son rapport sur la réforme, nous attendons toujours le projet de loi.
En conclusion, honorables sénateurs, nous appuyons le projet de loi C-24 à titre d’excellent rappel de la meilleure façon d’éviter les erreurs et les échappatoires et de donner au Parlement le temps nécessaire pour surveiller adéquatement ses dépenses. Nous avons d’excellents comités qui font un excellent travail au nom des Canadiens. Laissons-les surveiller comme il se doit le projet de loi du gouvernement, car nous ne serions pas ici des mois plus tard à corriger des erreurs s’il y avait une surveillance adéquate.
C’est pourquoi je termine en implorant le gouvernement de lire l’excellent rapport intitulé COVID-19 : Du soutien en temps de crise, qui a été publié l’été dernier par le Comité sénatorial permanent des finances nationales, présidé par le sénateur Mockler, et d’accorder une attention et une importance particulières à la recommandation no 16 :
Que les procédures habituelles d’approbation des dépenses du gouvernement par le Parlement soient rétablies afin d’exercer une surveillance appropriée des dépenses du gouvernement.
Merci, honorables sénateurs.
Des voix : Bravo!