Le mercredi 6 juin 2018 - Projet de loi C-45 Loi sur le cannabis - Motion d'amendement- Augmenter l'âge légal à 21 ans
L’honorable Rose-May Poirier : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour discuter de l’âge légal pour consommer du cannabis. Le projet de loi C-45 établit l’âge minimal à 18 ans et donne aux provinces la possibilité de le hausser. Malheureusement, je crains que l’âge légal, tel qu’il est maintenant, ne fasse plus de tort que de bien, surtout s’il demeure asymétrique.
Au Comité des affaires sociales, nous avons entendu un large éventail d’opinions d’experts sur ce que devrait être l’âge légal. Nous avons entendu 25, 21, 19 et 18 ans. On a proposé l’âge de 25 ans, particulièrement en raison des effets du cannabis sur le développement du cerveau. Selon la Dre Sharon Levy, directrice médicale du Programme d’intervention pour adolescents toxicomanes à l’hôpital pour enfants de Boston et professeure agrégée de pédiatrie à l’école de médecine de l’Université Harvard, qui a comparu le 16 avril devant le Comité des affaires sociales :
La suggestion de repousser l’âge limite vise en réalité à protéger la santé publique, car les données scientifiques sont très claires quant au fait que le cerveau en développement est vraiment mis à risque par la consommation de marijuana. Cette fourchette d’âge de l’adolescence au début de l’âge adulte est le moment où les gens deviennent dépendants aux substances, en particulier dans le cas de la marijuana. Les personnes qui subissent les plus grands préjudices sont celles qui consomment dans cette fourchette d’âge. Alors, quoi que vous puissiez faire pour repousser l’âge auquel les gens commencent à consommer du cannabis contribuera à la protection de la santé publique.
La Dre Levy n’est pas la seule à avoir exprimé des préoccupations sur les effets graves que l’usage de cannabis peut avoir sur le cerveau des jeunes. Nous avons également entendu le Dr Meldon Kahan, qui estime qu’il faudrait augmenter l’âge légal à 25 ans :
Je crois vraiment — tout comme un grand nombre de mes pairs — que la limite légale devrait passer de 18 à 25 ans. Il s’agit d’un âge auquel il a été démontré que le cerveau a atteint sa pleine maturité et après lequel le cannabis semble causer un peu moins de dommages. Cette augmentation de l’âge rendra la tâche plus difficile aux jeunes qui veulent consommer du cannabis.
Honorables sénateurs, une limite d’âge aussi basse soulève des préoccupations. À 18 ans, le cerveau est encore en développement. Légaliser la consommation de cannabis à partir de l’âge de 18 ans envoie un message différent aux jeunes. Cela leur dit que le cannabis n’est plus une drogue et n’est pas aussi nuisible qu’on le pense.
Lorsqu’il a comparu devant le comité le 16 avril, le Dr Harold Kalant, professeur émérite à la faculté de médecine de l’Université de Toronto, a déclaré ceci :
Selon les données médicales, le cannabis pourrait nuire à la maturation de certaines parties importantes du cerveau jusqu’à l’âge de 24 ou 25 ans. Je crois qu’il est très peu probable que le Parlement accepte un âge minimal de 25 ans. Tout ce que je peux dire, c’est que plus l’âge minimal est élevé, mieux c’est. Selon moi, l’âge de 21 ans est beaucoup mieux que 18 ou 19 ans [...]
À mon avis, c’est le Dr Kalant qui propose le meilleur compromis, honorables sénateurs. Nous savons que, plus une personne commence jeune à consommer du cannabis, plus le développement de son cerveau risque d’être entravé. L’âge le plus sûr pour commencer à consommer du cannabis sans trop d’effets sur le cerveau est de 25 ans. La majorité des spécialistes du domaine médical s’entendent là-dessus. Là où ils s’entendent moins, c’est sur la manière de concilier les risques auxquels la consommation de cannabis expose les jeunes avec les normes sociales d’aujourd’hui.
Honorables sénateurs, je crois sincèrement que l’âge de 21 ans représente un compromis prudent. On ne cherche pas à brimer les jeunes de 18 ans ni à leur envoyer le message qu’on ne leur fait pas assez confiance pour décider eux-mêmes s’ils consommeront ou non du cannabis. On cherche simplement à être prudent, à se laisser une certaine marge de manœuvre.
Si le projet de loi C-45 est adopté tel quel et que l’âge minimal reste à 18 ans, nous ne pourrons plus faire marche arrière; nous aurons les mains liées. Il n’y aura plus moyen de changer quoi que ce soit. Si, dans 3, 5 ou 10 ans, nous concluons que le cannabis nuit davantage que ce que nous pensions au développement du cerveau, nous ne pourrons pas hausser l’âge minimal à 21 ans. Une fois qu’il sera fixé à 18 ans, ce sera pour de bon. Il sera quasiment impossible de le faire passer à 21 ans et de changer le cours de la normalisation.
Cela dit, si, dans 3, 5 ou 10 ans, nous concluons au contraire que le cannabis n’est pas aussi dommageable que nous le craignions pour le développement du cerveau, si les données montrent alors que les campagnes d’information ont bien fonctionné et qu’il y aurait très peu de risques à ramener l’âge minimal à 18 ans, ce sera possible.
L’un des arguments invoqués pour fixer l’âge à 18 ans veut qu’il faille s’aligner sur l’âge légal pour la consommation d’alcool. Dans quelle mesure cette limite d’âge a-t-elle fonctionné? Selon Statistique Canada, en dépit du fait qu’il est illégal de vendre de l’alcool à une personne de moins de 18 ans, 27,9 p. 100 des jeunes Canadiens de 12 à 17 ans ont rapporté avoir consommé une boisson alcoolique au cours des 12 derniers mois. Parmi les personnes qui ont consommé de l’alcool, 41,8 p. 100 l’ont fait au moins une fois par mois.
Donc, les personnes de moins de 18 ans consomment toujours de l’alcool, et ce sera la même chose pour le cannabis.
On a soutenu que, si l’âge de l’accès à la marijuana est fixé à 21 ans, les personnes âgées de 18 à 20 ans seront poussées vers le marché illicite, mais je peux invoquer le même argument si l’âge est fixé à 18 ans : tous les jeunes de moins de 18 ans seront aussi poussés vers le marché illicite.
Évidemment, nous voulons que personne n’aille vers le marché illicite et nous pouvons faire passer ce message dans les campagnes de sensibilisation. Nous avons aussi appris que le gouvernement avait lancé sa campagne de sensibilisation du public longtemps d’avance. Il a prévu un peu de financement dans le budget de cette année. Les provinces ont aussi investi des fonds dans leurs propres campagnes et elles demandent aux producteurs d’investir de l’argent dans la sensibilisation du public. Si cet argument s’adresse aux jeunes de moins de 18 ans, à savoir qu’il permettrait de sensibiliser ces jeunes sur le cannabis et ses méfaits, il est donc tout aussi bon pour les jeunes de 18 à 20 ans, qui risquent d’aller vers le marché illicite.
Honorables sénateurs, je puis vous assurer qu’il ne s’agit pas d’un cas à la « reefer madness ». Je n’entrevois pas de scénario apocalyptique. Je tiens à ce que la société traite l’âge de l’accès au cannabis avec précaution en se fondant sur les données médicales et sanitaires. Les données ne sont peut-être pas concluantes, mais nous savons qu’il existe un danger, et il est toujours possible que ce danger soit pire que prévu.
Il faut être prudents et nous accorder la souplesse et la latitude nécessaires pour changer l’âge si jamais nous faisons fausse route. C’est beaucoup plus faisable et réaliste d’assouplir la réglementation que de la resserrer. Si nous nous trompons en établissant l’âge à 21 ans, nous pouvons le baisser. Si nous nous trompons en établissant l’âge à 18 ans, nous sommes faits. Au bout du compte, ce sont les jeunes qui subiront les conséquences.
Rejet de la motion d’amendement
L’honorable Rose-May Poirier : Par conséquent, honorables sénateurs, je propose l’amendement suivant :
Que le projet de loi C-45, tel que modifié, ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu’il soit modifié :
a)par remplacement de « dix-huit » par « vingt et un » :
(i)à l’article 8, à la page 7, à la ligne 3,
(ii)à l’article 9,
(A)à la page 9, à la ligne 22,
(B)à la page 10, aux lignes 6 et 13,
(iii)à l’article 10, à la page 11, aux lignes 13, 14, 21 et 28,
(iv)à l’article 12, à la page 13, aux lignes 14, 25 et 31,
(v)à l’article 17, à la page 18, aux lignes 21 et 36,
(vi)à l’article 32, à la page 24, à la ligne 16;
b)par remplacement de « jeune » par « individu âgé d’au moins douze ans, mais qui n’a pas atteint l’âge de vingt et un ans » :
(i)à l’article 8, à la page 7, à la ligne 11,
(ii)à l’article 12, à la page 14, à la ligne 4;
c)à l’article 9, à la page 9, par substitution, à la ligne 20, de ce qui suit :
« séché pour tout individu âgé de vingt et un ans ou plus ou à plus de cinq grammes de cannabis séché pour tout individu âgé d’au moins dix-huit ans, mais qui n’a pas atteint l’âge de vingt et un ans, »;
d)à l’article 12, à la page 14, par substitution, à la ligne 20, de ce qui suit :
« (1), (4), (5), (6) ou (7) ou toute organisation qui contrevient »;
e)à l’article 32, à la page 24, par substitution, aux lignes 14 et 15, de ce qui suit :
« cessoire à un individu âgé de moins de vingt et un ans.
(2) Le fait pour l’accusé de croire que l’individu visé au pa- »;
f)à l’article 51, à la page 29, par substitution, à la ligne 12, de ce qui suit :
« contravention à l’un des alinéas 8(1)a), b) ou c) ou à l’un des »;
g)à l’article 62, à la page 37, par substitution, à la ligne 17, de ce qui suit :
« (i) un individu âgé de moins de vingt et un ans, »;
h)à l’article 69, à la page 40, par substitution, à la ligne 24, de ce qui suit :
« b) interdiction de vendre du cannabis à des individus âgés de moins de vingt et un ans; ».