Le 21 février 2019 - Projet de loi C-55, Loi modifiant la Loi sur les océans et la Loi fédérale sur les hydrocarbures - Assemblée des Premières Nations et Qikiqtaaluk Corporation

La sénatrice Poirier : Je vous remercie tous deux de vos observations. Pendant vos exposés, j’ai noté que vous avez recommandé trois amendements. Certains amendements dont vous avez parlé ressemblent à ceux que d’autres témoins ont soumis.

Parmi les principales préoccupations soulevées par d’autres témoins, soulignons le manque de consultation ainsi que les conséquences socioéconomiques que peuvent subir les communautés si une proposition ou une mesure est adoptée sans une consultation adéquate. Je suis sûre que vous êtes au courant des problèmes que nous avons connus au Nouveau-Brunswick, l’été dernier, en ce qui concerne les baleines et la fermeture de certaines zones qui ont touché la péninsule acadienne du Nouveau-Brunswick. Les répercussions socioéconomiques ont touché non seulement les pêcheurs, mais toute la collectivité.

Si j’ai bien compris, je crois que vous n’avez pas été consultés avant l’élaboration du projet de loi C-55. Ai-je raison de croire que vos groupes n’ont pas été consultés?

M. Paul : Le processus de consultation n’était pas aussi bien défini que d’autres activités de consultation qui ont été menées dans certaines régions que je connais. Je ne travaille pas pour un organisme de consultation. Nous encourageons les intervenants à suivre les protocoles de consultation locaux.

La sénatrice Poirier : L’absence d’un processus adéquat de consultation des communautés des Premières Nations pourrait-elle avoir des répercussions socioéconomiques?

M. Silver : Je crois effectivement qu’il pourrait y avoir des effets négatifs, et pas seulement sur le plan socioéconomique. Notre peuple s’inquiète aussi des lacunes sur le plan de l’accessibilité des ressources alimentaires traditionnelles. C’est une question non seulement d’économie, mais d’alimentation. J’ai indiqué à d’autres personnes que j’ai des proches de la communauté des Salish de la côte qui ont étudié l’effet de l’inaccessibilité des ressources alimentaires traditionnelles sur la santé générale des Swinomish de l’État de Washington. Pour mon peuple, le changement de régime... Nous avons rapatrié les dépouilles de nos ancêtres qui se trouvaient dans des musées afin de les placer dans un lieu de sépulture convenable. Au terme de longues délibérations avec nos aînés, nous avons autorisé certains tests qui ont révélé que le régime de nos ancêtres ayant vécu il y a 2 700 à 5 000 ans se composait à 80 à 85 p. 100 d’aliments d’origine marine. Les modifications à notre régime ont causé un nombre presque épidémique de cas de diabètes et d’autres maladies que nos communautés n’avaient jamais connues auparavant. Cela fait partie des problèmes auxquels il faut remédier.

Dans une communauté de la côte Ouest qui a adopté un régime traditionnel, le diabète qu’on avait diagnostiqué à certaines personnes a disparu. Cette communauté a connu beaucoup de succès. L’inaccessibilité des ressources alimentaires traditionnelles est donc un aspect qui nous préoccupe vivement.

La sénatrice Poirier : Le délai moyen pour désigner une ZPM au titre de la Loi sur les océans est de 7 à 10 ans. C’est beaucoup plus long que le délai de cinq ans qui est prévu pour la protection provisoire d’une ZPM. Croyez-vous que le ministère des Pêches et des Océans serait capable d’établir une ZPM au titre de la Loi sur les océans en respectant le délai de cinq ans qui est proposé? Ou est-ce que cela risque de compromettre le processus de consultation et son résultat?

M. Paul : Cela dépend du soutien fourni aux tables de consultation des Premières Nations. D’ici à ce que l’on renforce les capacités des Premières Nations, il serait désavantageux pour les Premières Nations d’accélérer le processus.

Il y a également un aspect culturel. Je suis de la région atlantique. Les stocks de saumon n’y sont plus vraiment sains. Par exemple, j’ai des photos de mon grand-père avec un saumon atlantique de 30 livres. Je n’ai jamais vu cela de toute ma vie. Ce qui est absent de ma vie et de celle de mes enfants, c’est ce transfert des activités traditionnelles et la capacité de subvenir aux besoins de la collectivité et des aînés.

Si l’on exerce une cogouvernance, de manière à permettre la reconnaissance de la compétence des Premières Nations en ce qui a trait aux aires protégées, alors je crois que les Premières Nations pourront mieux décrire et mieux réduire les incidences de certaines de ces restrictions des pêches d’une manière culturellement adaptée.

Il est vraiment difficile de dire si un délai de cinq ans est un délai trop court. Cela dépend de l’état de préparation des collectivités des Premières Nations et de la volonté du gouvernement de leur permettre de participer au processus de désignation.

La sénatrice Poirier : Merci.

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La sénatrice Poirier : Monsieur Ward, je vous remercie de votre présence et de votre présentation.

Ma première question concerne les observations que vous avez formulées lors de votre présentation. Vous avez parlé des pressions exercées pour atteindre l’objectif de conservation marine du Canada consistant à protéger 10 p. 100 des aires marines et côtières d’ici 2020. Je pense que nous sommes tous d’accord pour dire que cet objectif est de favoriser les efforts de conservation, tout en garantissant aux communautés l’accès aux ressources dont elles ont besoin. Il s’agit donc de trouver un juste équilibre.

Selon vous, le projet de loi C-55 est-il davantage axé sur l’objectif fixé à 10 p. 100, ou sur des mesures appropriées de conservation?

M. Ward : Pour être honnête, je pense qu’il s’agit avant tout d’atteindre l’objectif de 10 p. 100. On pourrait également s’attendre à ce que les efforts de conservation soient importants; cela ne fait aucun doute, et des pressions ont été exercées en ce sens. Toutefois, ces efforts auraient pu être menés selon un échéancier différent et atteindre quand même les résultats escomptés.

Nous nous inquiétons de la rumeur qui veut que lorsque nous aurons atteint l’objectif de 10 p. 100 en 2020, nous soyons soumis à de nouvelles pressions pour atteindre un objectif beaucoup plus ambitieux d’ici 2030. Compte tenu du fait que le Nord possède d’immenses zones vierges, j’ai l’impression qu’on finira bien par nous dire qu’il faut geler — c’est le cas de le dire — tout projet économique. Gardez à l’esprit que procéder d’une telle manière risque de grandement nuire au développement des secteurs de la pêche côtière et de la pêche hauturière.

Sur un territoire comme le Nunavut, qui comprend 37 000 habitants répartis en 25 communautés, il est très difficile de créer de bons emplois bien rémunérés. C’est pour cette raison que nous ne voulons pas geler l’empreinte de l’activité humaine en soi si les données scientifiques ne vont pas dans ce sens.

La sénatrice Poirier : Dans vos remarques préliminaires, vous avez mentionné à quelques reprises les avantages socioéconomiques et vos préoccupations à ce sujet. Je partage ces inquiétudes étant donné que j’ai pu observer de telles répercussions au Nouveau-Brunswick. Lors de réunions précédentes, nous avons également entendu d’autres témoins qui ont parlé de la méfiance entre différents intervenants et le ministère des Pêches et des Océans, plus particulièrement en ce qui concerne l’évaluation des répercussions socioéconomiques et culturelles au cours du processus de consultation.

Pouvez-vous nous parler de la capacité du ministère à tenir compte des répercussions socioéconomiques et culturelles pour éclairer ses décisions? Pensez-vous que ses fonctionnaires sont en mesure de le faire?

M. Ward : C’est difficile pour eux parce qu’ils ne disposent pas des ressources humaines pour le faire. Il faut attribuer cette tâche à quelqu’un. Ils doivent reconnaître ce fait et prendre des mesures pour aller de l’avant.

Parlons du contexte socioéconomique du Nunavut, plus précisément de la pêche hauturière des fruits de mer. Cette pêche était pratiquement inexistante il y a 30 ans. Aujourd’hui, elle emploie plus de 300 personnes sur les côtes et en haute mer — je pense surtout à l’usine de Pangnirtung. Évidemment, l’industrie extracôtière offre de bons emplois bien rémunérés.

À une certaine époque, dans le secteur de la pêche hauturière par exemple, il y avait un ou deux Inuits par navire. Aujourd’hui, de 50 à 85 p. 100 des travailleurs sur les bateaux-usines sont des Inuits. Au sein de notre entreprise, un équipage de 28 personnes comptera de 12 à 14 Inuits. Cette pêche est donc un important moteur socioéconomique. Cela dit, pour répondre à votre question, je ne crois pas que le ministère soit bien outillé pour faire cette évaluation. C’est ce que j’ai pu constater.

La sénatrice Poirier : Savez-vous si le ministère des Pêches et des Océans a mené des consultations dans votre région avant que le projet de loi C-55 soit présenté? Y a-t-il eu une quelconque forme de consultations?

M. Ward : Oui, il y a eu des consultations. Les groupes inuits ont eu des discussions avec le ministère. Ils seraient mieux placés que moi pour répondre à votre question.

Par l’entremise des diverses associations industrielles que j’ai mentionnées plus tôt — la Nunavut Fisheries Association, la Northern Coalition et le Conseil canadien des pêches — de vastes consultations ont lieu. Il doit y en avoir davantage : vous en avez sûrement entendu parler lors des témoignages du Conseil canadien des pêches et d’autres acteurs du secteur privé.

Je ne veux pas éluder la question. Le projet de loi est extrêmement important. Je vais vous donner un exemple des fermetures qui ont eu lieu au Nunavut. Le ministère a annoncé qu’il allait fermer des zones de pêche. Bien sûr, nous nous sommes d’abord fortement opposés à ces mesures. Beaucoup de chemin a été parcouru entre le moment de l’annonce et la fin du processus. Le ministère a mené de vastes consultations dans la région auprès des diverses associations dont nous faisons partie et les ONG. Un effort de collaboration a permis l’application de ces trois fermetures majeures qui ont, évidemment, grandement contribué à l’atteinte de la cible de 5 p. 100.

Comme je l’ai dit plus tôt, nous fournissons plus que notre juste part pour l’atteinte de l’objectif de 5 p. 100. Nous en sommes même à 7,75 p. 100 aujourd’hui.

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