Le mercredi 29 mars 2023 - Projet de loi C-22, Loi sur la prestation canadienne pour les personnes handicapées - Divers témoins

La sénatrice Poirier : Je remercie tous les témoins de leur présence.

Ma question s’adresse au professeur Frankel. Dans votre déclaration liminaire, vous avez recommandé que la loi exige un mécanisme d’appel et garantisse que les appelants disposent des ressources nécessaires pour déposer et défendre leurs appels.

Les demandes d’aide aux personnes handicapées et les recours contre les décisions sont souvent lourds. Compte tenu de votre expérience, je me demande s’il existe des exemples d’administrations — au Canada ou à l’étranger — qui font du bon travail pour soutenir les personnes handicapées tout au long de ce processus. À quoi devrions-nous porter attention? Pensez-vous que cette prestation devrait être basée sur le revenu individuel ou familial?

M. Frankel : Il y a quelques questions là-dedans. Je ne connais pas l’efficacité des différentes approches en matière d’appel. Cependant, je sais — et mes collègues peuvent également en parler — que le soutien disponible pour l’appelant est important. Par exemple, en ce qui concerne les appels relatifs à l’assurance-emploi, il existe un certain soutien. Je pense que cela vaut la peine de s’y intéresser. Cela m’a d’ailleurs donné l’idée d’examiner où il existe des mécanismes d’appel efficaces.

Au Canada, l’approche générale pour presque toutes les prestations consiste à se concentrer sur le revenu du ménage. Deux questions se posent. La première est de savoir quel revenu est pris en compte pour l’octroi de la prestation, et la seconde est de savoir qui reçoit la prestation. La tradition veut que l’on prenne en compte le revenu du ménage. Cela part du principe que tous les membres du ménage ont accès aux prestations. Sauf que je pense que la personne handicapée devrait être le bénéficiaire de ce revenu, et non le chef de famille, à moins qu’il ne soit la personne handicapée en question.

La vice-présidente : Merci. Si, au cours de vos recherches, vous trouvez une piste à cet égard, pourriez-vous faire parvenir cette information à notre greffière? Cela nous aidera à éclairer notre travail.

La sénatrice Poirier : Si vous deviez apporter un amendement au projet de loi C-22, que proposeriez-vous?

M. Frankel : Je pense que la chose la plus importante serait d’avoir un moyen plus viable et plus exhaustif de faire participer les personnes handicapées. J’exigerais bien plus qu’une simple consultation sur les règlements, même si c’est important. Je plaiderais pour la création d’un comité qui serait nommé par un comité multipartite et qui aurait pour mandat de surveiller la mise en œuvre, de faire des recommandations au ministre — des recommandations qui devraient être présentées à l’ensemble de la Chambre — et d’être consulté au sujet des recommandations faites par d’autres.

La sénatrice Poirier : Je vous remercie.

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La sénatrice Poirier : Je vous remercie tous les deux de prendre le temps de représenter vos organismes respectifs aujourd’hui.

Vos groupes, ainsi que trois autres organismes, ont conjointement soumis un mémoire au comité HUMA de la Chambre des communes, dans lequel vous déclarez conjointement ceci :

[L]es femmes en situation de handicap ou ayant des troubles de santé mentale sont plus susceptibles de vivre de la violence et des abus financiers que le reste de la population [...] Il est donc indispensable d’individualiser la future Prestation afin de limiter les problématiques de dépendance financière.

En ce sens, nous pensons que le calcul de la prestation ne devrait pas tenir compte des revenus, biens et avoirs liquides du conjoint. Cela permettrait notamment à plus de femmes d’avoir accès à la Prestation et ainsi renforcer leur sécurité financière, leur donnant plus d’indépendance.

J’aimerais que M. Lupien confirme que c’est toujours la volonté de la fédération. Monsieur Ragot, puisque vous avez rédigé ce document, j’aimerais que vous précisiez en quoi il est vital que la prestation canadienne pour les personnes handicapées soit individualisée.

[Français]

M. Lupien : Oui, c’est vrai que les personnes en situation de handicap vivent beaucoup plus de violence lorsqu’elles dépendent du revenu de leur conjoint. Je ne reçois que 900 $ par mois, et parfois, ma femme me dit que c’est elle qui me fait vivre. C’est important de mettre un terme à cette situation. Que l’on soit un homme ou une femme, on peut vivre de la violence. Oui, les femmes vivent de la violence, mais dans le monde des personnes handicapées, les hommes en vivent aussi.

Alors, je pense que c’est important qu’on y voie, et comme on le disait plus tôt, il faut que les prestations soient versées au-delà de l’âge de 65 ans. Parce qu’excusez-moi, mais à 65 ans, je serai encore une personne handicapée dont le coût de la vie sera beaucoup plus élevé que celui d’une personne non handicapée, parce que j’ai toujours des dépenses liées à mon handicap.

M. Ragot : Merci de votre question. Oui, c’est encore un sujet d’actualité qui est absolument crucial. On sait que les personnes — les femmes, notamment — en situation de handicap vivent plus de violence conjugale et de dépendance financière. On sait que les personnes qui ont des axes d’identités intersectionnelles sont plus susceptibles de vivre cette violence. On sait qu’une des façons d’aider les personnes qui ont des axes d’identités multiples, qui sont à l’intersection de plusieurs systèmes d’oppression, est de leur donner une sécurité financière.

Pour une personne en situation de handicap, pour une femme en situation de handicap, ou une femme de couleur en situation de handicap, lui assurer une sécurité financière est un des leviers pour prévenir certaines formes de violence. Cela ne va pas régler la situation de la violence en entier, évidemment, mais on aura au moins un levier qui aura des effets, parmi d’autres leviers, dans des plans d’action pour lutter contre la violence fondée sur le genre.

C’est important, c’est documenté, c’est la bonne chose à faire. C’est aussi une question de principes fondamentaux de dignité, et le Sénat a une occasion exceptionnelle de faire la bonne chose en ce sens.

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