Le 22 octobre 2018 - Étude sur la perspective des Canadiens au sujet d’une modernisation de la Loi sur les langues officielles - Divers témoins

La sénatrice Poirier : Ma question porte sur la mise en œuvre de la loi. On a entendu plusieurs témoins qui souhaitaient que la mise en œuvre soit efficace, et que ce soit le Conseil privé, le Conseil du Trésor ou Patrimoine canadien qui s’en occupe. Cet été, le Cabinet a été modifié, la ministre Joly a changé de poste, mais a conservé le dossier des langues officielles. Pouvez-vous commenter la situation actuelle, c’est-à-dire le fait que la ministre des Langues officielles est séparée de Patrimoine canadien, et, selon vous, quelle serait la meilleure approche pour assurer une mise en œuvre efficace de la loi?

Mme Effendi : Merci beaucoup, madame la sénatrice, c’est une excellente question. Selon nous, la division du ministère n’aide pas à la mise en œuvre de la loi. Nous adoptons la proposition qui a été faite par plusieurs autres intervenants qui ont témoigné devant vous et qui suggèrent qu’il devrait y avoir une agence centrale responsable de la totalité de la mise en œuvre de la loi. Il nous faut une entité responsabilisée et qui a les pouvoirs nécessaires prévus dans la loi. Malheureusement, en ce moment, le ministère du Patrimoine n’a pas les pouvoirs nécessaires pour convaincre ses homologues de respecter la loi; il n’a que le pouvoir d’encourager et de favoriser.

Selon nous, la situation actuelle ne change en rien la mise en œuvre. Le problème existe toujours. Nous sommes d’avis qu’il faudrait avoir une entité qui aurait des pouvoirs beaucoup plus forts, comme le Conseil du Trésor, une entité qui aurait des tentacules partout dans l’appareil gouvernemental et qui serait en mesure de convaincre les gens autour de la table de respecter les obligations contenues dans la loi.

M. Bisson : Je n’ai rien à ajouter. Je pourrais me prononcer sur d’autres choses plus tard par rapport à la coordination dans le domaine de la justice.

La sénatrice Poirier : Le gouvernement a récemment annoncé son Plan d’action pour les langues officielles de 2018-2023. Le plan contient un volet afin d’améliorer l’accès à la justice avec notamment un investissement de 2 millions de dollars sur deux ans pour augmenter la capacité, ainsi qu’un plan d’action à l’intérieur du plan d’action afin d’améliorer le bilinguisme au sein de la magistrature des cours supérieures.

Selon vous, est-ce suffisant pour répondre aux besoins, et sinon, quelles mesures le gouvernement devrait-il prendre afin d’améliorer la situation?

M. Bisson : Je peux répondre à cela. Tout d’abord, je veux remercier le gouvernement fédéral pour le financement accordé au réseau et à nos membres. Nous sommes une interface entre la société civile et l’appareil de justice. Je reconnais que, dans bien des pays, on ne finance pas ce type d’interface. Alors, je suis content de cela.

En ce qui concerne votre deuxième question, est-ce que le financement accordé à l’accès égal à la justice est suffisant? C’est une question délicate, qui exige une réponse délicate et mesurée. Alors, je vais vous le dire d’une façon mesurée : la réponse est non. Le financement est carrément inadéquat pour faire avancer l’égalité d’accès à la justice.

Je vais donner quelques exemples, si vous me le permettez, monsieur le président. Dans le plan d’action qu’on avait recommandé au gouvernement fédéral — cela peut sembler étrange, mais c’est ce qu’on a fait —, on a recommandé qu’il y ait plus d’argent investi dans la bureaucratie de Justice Canada. On avait recommandé que le ministère de la Justice devienne un centre d’expertise horizontal pour tout le domaine de la justice, afin de pouvoir coordonner la question de la GRC et tous les comités FPT en justice. On a vu tout à l’heure que la majorité des causes criminelles sont entendues par les tribunaux provinciaux, donc il faut être en mesure de se coordonner avec les provinces. Comme groupe communautaire, lorsque cette coordination n’a pas lieu, notre travail devient très compliqué. Je ne sais toujours pas si cette recommandation a été acceptée.

Je vais vous donner d’autres exemples. J’étais à Edmonton ce week-end et j’entendais les représentants du ministère du Patrimoine dire que les groupes communautaires avaient eu droit à une augmentation de 20 p. 100. Je peux vous assurer que personne n’a eu d’augmentation de 20 p. 100 avec l’annonce du plan d’action. Nous avons subi des coupes et d’autres groupes aussi. Les plus grosses augmentations auraient été de l’ordre de 1 p. 100 ou 2 p. 100. Il y a d’autres choses plus sérieuses.

Si vous me le permettez encore une fois, je vais parler de la formation des policiers provinciaux et municipaux. Vous venez de différentes provinces où il y a des forces policières municipales et provinciales. À l’extérieur du Québec, il n’y a pas une seule académie policière qui peut former des policiers en français, même pas dans l’Atlantique. Nous avions donc proposé qu’il y ait de l’argent investi pour la formation des policiers au niveau des académies — je ne parle pas de la GRC —, mais cela non plus ne s’est pas réalisé.

Finalement, dans la réponse du gouvernement qui a été donnée au comité de la Chambre, il y a eu une recommandation, la recommandation no 6, qui parlait du droit de la famille. Cette recommandation annonçait avec fanfare qu’il y avait eu d’immenses améliorations dans les budgets du droit de la famille et que les priorités étaient, entre autres, les communautés de langue officielle en situation minoritaire. C’était au mois de mars. Au mois de juin, le ministère nous a dit que tous les fonds étaient épuisés, qu’il n’y avait plus d’argent pour nous. En novembre, ils nous ont dit que nous pouvions déposer des projets parce que nous pourrions avoir accès aux fonds que les provinces n’avaient pas dépensés. Je dois vous dire que c’est désagréable pour nous d’entendre des choses comme cela.

Je pense que j’ai répondu à votre question. Merci de votre indulgence, monsieur le président.

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La sénatrice Poirier : Je vous souhaite la bienvenue au comité, monsieur. Votre présence est grandement appréciée. La semaine dernière, le comité a entendu de très bons commentaires au sujet des services de traduction des décisions de la Cour suprême. Pourriez-vous nous indiquer quels sont les délais de publication des jugements et qui s’en occupe?

M. Bilodeau : Effectivement, nous avons une équipe bien rodée à la Cour suprême. Nous avons beaucoup de chance, d’ailleurs, d’avoir un personnel dévoué, compétent et très habile qui permet à la cour de produire chaque année ses jugements dans les deux langues officielles. Pour ce qui est des délais habituels de publication des jugements, lorsque la cour entend une cause, on peut prévoir que le jugement sera produit et publié dans les six mois environ. La moyenne est d’environ six mois entre la date d’audition d’un appel et la publication du jugement. Lorsque les juges préparent leur ébauche de jugement, et lorsque l’ébauche est relativement prête, elle est envoyée à la traduction. Cette traduction initiale est effectuée à l’extérieur par des gens du Bureau de la traduction. Nous recevons le texte traduit et notre personnel s’affaire à réviser, éditer et ajuster le texte traduit pour arriver au produit fini.

Comme je l’ai dit plus tôt, nous avons la chance d’avoir sur place une équipe d’avocats et d’avocates, une équipe de jurilinguistes et une équipe de réviseurs techniques qui assurent la qualité, la production, la révision, l’édition et la publication finale de chaque jugement. La cour émet, bon an, mal an, environ 65 à 85 jugements par année, ce qui n’est pas un nombre élevé par rapport à d’autres cours, et cela nous permet de nous pencher plus attentivement sur chaque jugement pour arriver à un produit de qualité. Bien sûr, comme c’est la Cour suprême du Canada et que chaque jugement a une incidence potentielle sur un aspect ou l’autre de la société ou du droit, chaque jugement doit être exact. On ne peut pas se permettre d’erreur en termes de terminologie, de vocabulaire, de concept juridique. Cela signifie qu’une très grande attention est portée à la qualité du vocabulaire juridique inclus, dans les deux langues, en anglais et en français, dans les deux versions du jugement. Donc, le délai est d’environ six mois pour la production du jugement, c’est-à-dire pour la publication. Comme je vous l’ai expliqué, le travail est accompli par des membres de notre équipe interne avec une traduction initiale qui est effectuée par des gens du Bureau de la traduction du gouvernement fédéral. Est-ce que cela répond à votre question?

La sénatrice Poirier : Oui. Dans un autre ordre d’idées, le comité a également entendu parler de la qualité très inférieure des décisions rendues dans d’autres cours. Selon vous, comment peut-on modifier la Loi sur les langues officielles afin d’offrir le même niveau de qualité dans la traduction des décisions?

M. Bilodeau : Dans les autres cours?

La sénatrice Poirier : Oui.

M. Bilodeau : Je vais plaider une certaine réserve, parce que je ne veux pas trop m’immiscer dans les travaux des autres cours, par respect de l’indépendance et du statut des autres cours. Cependant, comme j’y ai fait allusion plus tôt, les autres cours ont un volume beaucoup plus élevé de jugements par année. Selon le nombre de jugements qu’ils ont à produire, à traduire et à publier, effectivement, il faut du personnel, des ressources et de l’expérience. Nous nous devons aussi de reconnaître que l’expertise en matière de production de jugements ou en matière de bilinguisme juridique, de manière générale, est quand même limitée. Il n’existe pas, à tous les coins de rue au Canada, des jurilinguistes, des avocats et des réviseurs qui ont le talent, l’habileté, la formation et l’expérience nécessaires pour produire des jugements de qualité supérieure dans toutes les cours canadiennes. Je ne dis pas que c’est impossible, mais cela prendra un certain temps avant d’en arriver à un stade où on a assez de ressources pour être en mesure de bien équiper toutes les cours canadiennes qui veulent ou doivent émettre des jugements dans les deux langues. C’est une question de ressources, essentiellement, de formation et d’expérience.

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La sénatrice Poirier : J’ai des questions complémentaires par rapport à des propos formulés plus tôt. À deux ou trois reprises ce soir, vous avez parlé du délai de six mois pour la traduction. Par la suite, vous avez ajouté qu’une révision peut être faite 5, 10, 15 ou 20 fois. Est-ce que ces révisions se font à l’intérieur de six mois?

M. Bilodeau : Quand je dis 5, 10 ou 15 fois, cela varie d’un dossier à l’autre. Ce sont des relectures, des vérifications. Ça ne signifie pas nécessairement qu’il faut relire tout le texte d’un bout à l’autre, mais plusieurs vérifications sont faites à l’intérieur de six mois.

La sénatrice Poirier : Quand on parle de la traduction de la Cour suprême, combien de traductions se font de l’anglais au français et combien se font du français à l’anglais?

M. Bilodeau : Je n’ai pas de statistiques, mais on reçoit plus de dossiers en langue anglaise et les jugements sont rendus dans la langue du dossier. Si les parties plaident en anglais, le jugement est rendu en anglais. En fait, le jugement est rendu dans les deux langues, mais le travail se fait d’abord en anglais et une traduction est produite.

La sénatrice Poirier : Toutes les décisions sont publiées dans les deux langues?

M. Bilodeau : Oui. Les juges préparent une ébauche d’un premier jugement. Cette ébauche est envoyée à traduction. La traduction revient et c’est là que le gros travail des juges, des éditeurs, des jurilinguistes commence. Ils prennent la traduction et ils travaillent les deux textes en même temps pour arriver à la version finale dans les deux langues au bout de six mois.

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