Le 26 septembre 2016 - Étude sur l’application de la Loi sur les langues officielles, les règlements et directives en découlant - Divers témoins
La sénatrice Poirier : Je vous remercie tous d'être ici. C'est très intéressant. Ma question est d'ordre général et vous pouvez tous y répondre.
Si je comprends bien, vous proposez un troisième protocole. Pourquoi vouloir créer un troisième protocole au lieu de demander au ministre d'être inclus à titre de signataire dans le prochain protocole?
M. Paul : Je vais tenter de répondre à votre question. C'est une bonne question, et je vous en remercie. Cette question est au cœur de notre demande.
Le protocole actuel comprend des domaines tels que l'immersion et l'enseignement postsecondaire, pour n'en nommer que quelques-uns. Ces domaines ne sont pas protégés par l'article 23. Depuis l'arrêt Mahe, vous le savez, des Conseils scolaires francophones ont été créés. Cela n'existait pas lors de l'élaboration et de la négociation des premiers protocoles. Maintenant, les conseils scolaires de langue française ont un droit de gestion en matière de langue, la langue française, et en matière de culture. Ces sommes qui sont versées pour financer les frais supplémentaires, non pas les frais ordinaires, sont versées au gouvernement provincial pour lui permettre de répondre aux besoins supplémentaires. Cela coûte plus cher dans les conseils scolaires de langue française — je ne vous apprends rien —, car nous devons veiller à la construction identitaire de nos élèves.
Toute la question de la culture dans nos communautés et dans nos écoles est régie par l'article 23. Si on nous demandait d'être signataires du protocole le plus important, tel qu'il existe depuis le début, c'est-à-dire en ce qui concerne le français langue première et l'enseignement dans la langue seconde, nous pourrions nous interroger sur les raisons pour lesquelles nous aurions l'autorité de décider et d'influencer tout ce qui se passe dans le domaine de l'enseignement en immersion ou du français langue seconde. Nous n'avons pas plus le droit d'influencer que n'importe quel autre organisme qui voudrait le faire. Lorsque l'on traite de langue et de culture dans nos écoles de langue française, cet aspect est protégé par l'article 23 de la Charte.
C'est pour cette raison que nous en sommes venus à penser que ce n'était pas déraisonnable, comme mes collègues l'ont mentionné. Cela fait déjà 15, 20 ou 30 ans que nous soulevons des préoccupations quant à la façon dont ces sommes sont dépensées, alors qu'elles devraient être consacrées à l'enseignement du français langue première. On ne sait pas où vont ces enveloppes budgétaires. Si nous siégeons à la table de négociations, et que les communautés, les conseils scolaires et les parents y sont également dès le départ, et si nous encadrons le tout à l'aide d'un nouveau protocole d'entente..., mais cela ne signifie pas que nous n'avons pas d'opinion quant aux sommes qui seront demandées pour l'enseignement postsecondaire. Nous avons une opinion à cet égard, et nous avons une opinion également en ce qui concerne l'enseignement du français langue seconde. Or, nous appuyons l'enseignement de la langue seconde, mais nous trouvons inacceptable que les sommes qui sont consacrées à l'enseignement du français langue première dans nos écoles, qui traite de langue et de culture, soient dépensées ailleurs. Nous l'avons mentionné par le passé. Cela existe déjà. Il y a des ministères de l'Éducation qui traitent déjà avec le gouvernement fédéral et avec des représentants d'organismes autochtones dans des provinces et des territoires et qui signent de façon tripartite des protocoles d'entente, qui ne correspondent pas au cadre du protocole actuel dont on parle. Cela s'est déjà fait et cela se fait encore. C'est pour cette raison qu'on retirerait les discussions et les sommes d'argent consacrées à l'enseignement du français langue première, qui se perdent dans un immense protocole. Il est complexe ce protocole. Il comprend des millions et des millions de dollars.
Pouvons-nous avoir un certain contrôle sur les sommes qui seront versées à nos communautés et à nos écoles? La seule façon logique — ce n'est pas révolutionnaire et on le demande depuis longtemps —, c'est d'élaborer un protocole distinct pour les enveloppes qui seront consacrées à nos écoles, pour l'enseignement de la maternelle jusqu'à la 12e année.
La sénatrice Poirier : Avez-vous eu la chance d'en discuter avec la ministre Joly? Si oui, semble-t-elle favorable à l'idée d'élaborer un troisième protocole?
M. Paul : Nous en sommes au début des discussions et des consultations. Le gouvernement a entrepris, pendant tout l'été, des consultations sur le renouvellement du prochain plan d'action — anciennement appelé protocole d'entente. Nous avons eu la chance de présenter tous ces points à la ministre Joly et au secrétaire parlementaire, M. Randy Boissonnault. Nous ne voulons pas que les gens aient des surprises lorsque les décisions se prendront, et c'est un peu la raison de notre présence ici aujourd'hui. Nous voulons en parler longtemps à l'avance, avant que les décisions se prennent. Donc, nous avons même fait des présentations auprès des cadres supérieurs de Patrimoine canadien. Ils savent de quoi nous parlons et, bien entendu, ils ne nous feront pas de promesses à l'avance. Nous en sommes à l'étape de la consultation, de la discussion. Nous avons le sentiment que la porte n'est pas fermée.
Cependant, pour répondre à votre question, non, nous n'avons pas eu de réponse claire d'une façon ou d'une autre.
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La sénatrice Poirier : Dans une des présentations que nous avons reçues, il est mentionné que, lorsque le gouvernement fédéral transfère des fonds aux provinces et aux territoires, il leur transfère aussi des obligations. L'obligation de consulter les communautés francophones en situation minoritaire est clairement énoncée à la partie VII de la Loi sur les langues officielles.
M. Racine a mentionné, si je me souviens bien, qu'en Nouvelle-Écosse, on avait demandé certains détails et qu'on n'avait pu les obtenir. Des exemples similaires ont été cités dans d'autres provinces. Quand vous faites une telle demande et qu'on vous répond, comme en Nouvelle-Écosse, que ces données ne vous concernent pas — je ne me souviens pas des mots exacts que vous avez utilisés —, en faites-vous un suivi? Présentez-vous alors une plainte selon laquelle ces personnes ne respectent pas leurs obligations en ce qui concerne les transferts d'argent? Existe-t-il une avenue qui vous permettrait de prendre des mesures et de procéder ainsi?
Ma deuxième question est la suivante. En vous écoutant, on se rend compte du problème. Ce problème existe peut-être un peu partout au Canada où on retrouve des communautés en situation minoritaire. Peut-on penser à une province ou à un territoire en particulier qui serait davantage un exemple de réussite, où on travaille davantage en collaboration avec vous, une province ou un territoire qui serait peut-être un exemple à suivre pour les autres provinces? Ou bien, les provinces et territoires sont-ils tous au même niveau?
M. Paul : Non, ils ne fonctionnent pas tous de la même façon. D'entrée de jeu, nous n'avons jamais voulu dépeindre tout le monde sous le même jour.
Oui, dans certaines provinces, les choses semblent mieux aller. Toutefois, on voit des nuances. Qu'entend-on par « mieux aller »? Dans un premier temps, on dit que les choses vont bien dans une province tant et aussi longtemps qu'on veut que les choses aillent bien. Quand un nouveau ministre de l'Éducation entre en fonction et qu'il n'a pas les mêmes idées que son prédécesseur, il n'existe aucun encadrement pour institutionnaliser le bon fonctionnement. Les choses fonctionnent au bon vouloir des fonctionnaires ou des ministres en place.
Quand les choses vont bien, ce n'est pas parce qu'ils en ont l'obligation. Une des grandes failles du protocole, comme on le disait au début, c'est le manque d'obligation de consulter. C'est noir sur blanc. S'ils le veulent, c'est parce qu'ils le veulent bien. Toutefois, ils le veulent bien, parce que la personne en poste le veut bien. Dès qu'on change la personne en poste, on devient très vulnérable à ce point de vue.
Là où la situation devient un peu plus problématique, c'est lorsqu'il est question de reddition de comptes. Des collègues me disent « Roger, on a quand même des argents du fédéral. » Je leur demande ensuite s'ils savent exactement comment a été dépensé cet argent, à part des généralités. On ne le sait pas.
J'aimerais soulever un autre point. Prenons la province de l'Ontario. L'Ontario est une grande province. On y retrouve 12 conseils scolaires. Il y en a un à Timmins, un à Sudbury, un à Ottawa et un autre à Toronto. Or, chaque conseil scolaire n'a pas les mêmes besoins. Est-ce qu'on les consulte, conseil scolaire par conseil scolaire, communauté par communauté, pour savoir quels sont leurs besoins en matière d'éducation en langue française dans leur communauté? Non. Des formules sont élaborées et déterminées par la province et le ministère de l'Éducation. Encore une fois, où se situe le niveau de consultation et de reddition de comptes lorsque les provinces ne sont pas obligées de le faire? La réponse qu'on nous sert tout le temps est typique : « Vous savez, l'éducation est de compétence provinciale et territoriale. » Nous le savons. Par contre, le gouvernement fédéral a le droit et le devoir de savoir, lorsqu'il verse de l'argent en faveur de l'éducation, comment cet argent est dépensé, même si l'éducation est de compétence provinciale.
Si les provinces et territoires ne veulent pas rendre des comptes de façon précise et détaillée, il n'ont qu'à refuser l'argent de Patrimoine canadien. Jusqu'à maintenant, personne n'a refusé. Vous qui avez participé à ces discussions, vous savez que la situation est corsée.
Tout le monde tire de son côté. Il y a la plus grosse province, la plus petite province, les priorités, et cetera. Puis, à la toute fin, il faut une éternité avant de signer l'entente, parce qu'une province ou deux n'ont pas obtenu ce qu'elles voulaient. Ce n'est vraiment pas évident.
Encore une fois, je ne parle pas du protocole au complet, car il est vaste. Cependant, si on pouvait en tirer une petite partie, celle qui est importante pour nous, je crois qu'il y aurait moyen de s'entendre.