Le lundi 1er mai 2023 - Étude sur les services de santé dans la langue de la minorité - Divers témoins

La sénatrice Poirier : Merci d’être parmi nous. C’est vraiment agréable de pouvoir discuter avec vous ce soir de sujets qui sont importants chez nous.

Vous occupez le poste de commissaire aux langues officielles depuis environ trois ans. Alors que nous commençons notre étude sur les services de soins de santé dans les communautés de langue officielle en situation minoritaire, quel est, selon vous, le plus grand défi pour les communautés acadiennes en ce qui concerne les services de soins de santé? De plus, comment le gouvernement fédéral pourrait-il aider à relever ce défi?

J’aimerais aussi faire un commentaire pour faire suite à ce que vous avez dit un peu plus tôt. Vous avez dit que quand une personne s’inscrit pour avoir un médecin s’exprimant dans la langue de son choix, l’attente risque d’être plus longue si c’est un médecin francophone.

Cela représente un réel défi au Nouveau-Brunswick, avec une population de plus en plus vieillissante. Selon l’endroit où elles vivent, les personnes âgées de plus de 75 ans disent qu’elles attendent un médecin depuis longtemps. Pour certaines d’entre elles, le fait d’avoir un médecin anglophone ne serait pas l’idéal, car plusieurs ne comprennent pas la langue. Je le sais, étant donné que je travaille avec des gens de ma province, et ils me disent la même chose.

Le fait d’aller à l’urgence pour voir un médecin dans un hôpital francophone n’est pas non plus la solution, parce que les gens passent la journée entière à l’hôpital et, à minuit, ils n’ont toujours pas vu de médecin.

Qu’entend faire le gouvernement fédéral pour résoudre ce problème auquel nous faisons face?

Mme MacLean : Le plus gros défi, c’est l’accès aux services de soins de santé en français. C’est là que l’on voit le plus grand nombre de plaintes.

Évidemment, les institutions comprennent qu’elles doivent offrir ce service. Comme vous l’avez dit, c’est aussi une question de sécurité.

On voit aussi souvent, dans certaines régions, que les francophones ont plutôt tendance... Même les plaignants qui disent presque toujours insister pour obtenir des services en français décident de s’exprimer en anglais, parce qu’ils savent qu’ils devront attendre plusieurs heures et la situation est urgente.

Il s’agit d’une question de sécurité. Ultimement, on parle de la possibilité de recevoir des services en français. C’est souvent une question de fonds, de financement, mais le problème d’accès aux services en français est aussi lié à la pénurie de main-d’œuvre. Lorsque je reçois des plaintes, je fais des recommandations, mais les représentants des institutions vont souvent répondre qu’ils n’ont pas assez d’employés bilingues. C’est pourquoi nous recevons ce genre de plaintes.

Le gouvernement fédéral devrait-il inclure des clauses linguistiques lorsqu’il fait des transferts aux provinces? Devrait-il faire en sorte que certains fonds soient destinés à l’embauche d’employés bilingues? À mon avis, oui. L’obligation est déjà là. Les fonds additionnels font probablement partie de la solution, mais il faut avoir... Évidemment, la santé est une compétence provinciale, mais les clauses linguistiques qui obligeraient le gouvernement provincial à insister pour avoir plus d’employés pourraient aider à régler certains problèmes.

La sénatrice Poirier : C’est une situation inquiétante, surtout pour les personnes âgées. Parfois, elles ne comprennent pas l’anglais. Elles doivent être capables d’expliquer quel est leur problème et recevoir les informations nécessaires dans leur langue.

Me reste-t-il un peu de temps pour poser une deuxième question?

Le président : Oui.

La sénatrice Poirier : D’accord.

En septembre dernier, l’Association des infirmières et infirmiers du Nouveau-Brunswick a annoncé un partenariat avec la France pour faciliter l’obtention d’un permis de travail pour les infirmières qui viennent de France. Est-il trop tôt pour évaluer cette initiative? Selon vous, une telle entente devrait-elle servir de modèle pour d’autres au pays?

Mme MacLean : Je ne sais pas si on a évalué comment cette entente fonctionne. C’est probablement le ministère de la Santé et l’Association des infirmières et infirmiers du Nouveau-Brunswick qui pourraient s’en charger, puisque ce sont eux qui régissent la profession.

Chaque fois qu’on peut éliminer des barrières pour faciliter les choses, c’est une bonne chose. Je suis avocate. Cela fait plusieurs années que le Barreau du Nouveau-Brunswick a conclu une entente de mobilité entre les provinces pour que les avocats puissent traverser la frontière facilement. Cela permet aux infirmières, infirmiers et médecins de travailler dans les autres provinces. Chaque fois qu’on peut faire quelque chose pour supprimer des barrières, c’est très bien.

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La sénatrice Poirier : Je vais tenter de regrouper mes questions. Nous avons discuté des nouvelles technologies, de la télémédecine avec l’usage d’une caméra et de ce que l’on peut faire. Vous avez indiqué que la traduction peut se faire par ordinateur.

J’ai vécu une situation l’automne dernier, quand je me suis rendue à l’hôpital pour une IRM. C’était un hôpital plus anglophone fréquenté par des gens de partout dans la province, étant donné le peu d’achalandage. Plusieurs venaient de la péninsule acadienne. Les situations étaient aussi banales qu’une dame qui voulait remplir un formulaire. Les gens ne se comprenaient pas entre eux et personne ne pouvait faire la traduction. J’ai donc offert de faire la traduction, même si j’étais une patiente en attente de traitement, et je l’ai faite.

Cette situation m’a fait réfléchir. Je songe en particulier aux endroits où il n’y a que des médecins anglophones. Lorsqu’il y a un manque d’effectifs, serait-il possible d’avoir une personne pour faire la traduction? Ce serait un peu plus chaleureux qu’une machine qui traduit.

Je reviens à la population vieillissante du Nouveau-Brunswick. Ces personnes ne sont pas aussi à l’aise avec les nouvelles technologies et les caméras, parce qu’elles ne les utilisent pas. Or, il faudrait mieux les servir. Que pensez-vous de ma suggestion?

Mme MacLean : Cette situation reflète un manque d’obligation de la part de l’hôpital. Il faut un plan de contingence. Si une personne remplit un formulaire, il faut pouvoir lui donner les renseignements dont elle a besoin. Si on ne parle ni français ni anglais, il faut un plan de contingence et une personne sur place pour aider les gens. Les institutions ont tenté de trouver des solutions. Elles ont fait appel à des équipes volantes pour aller un peu partout dans les hôpitaux et fournir ces services. Or, cela n’a pas bien fonctionné et il n’y avait pas assez de monde. Surtout avec la COVID, c’est tombé à l’eau, car on n’avait pas la main-d’œuvre pour faire ce genre de travail. L’obligation est quand même là. On reçoit beaucoup de plaintes de ce genre.

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La sénatrice Poirier : Merci à vous tous de votre présence ici aujourd’hui.

[Traduction]

Ce que vous dites correspond en grande partie à ce que nous entendons dans tout le pays concernant les francophones en situation de minorité; ici, ce sont les anglophones qui sont en situation de minorité. En réalité, il y a une pénurie de professionnels de la santé. Il y a des problèmes de recrutement et de maintien en poste des professionnels de la santé. D’après ce que j’entends, les défis auxquels vous êtes confrontés sont à peu près les mêmes dans tout le pays, en fonction de l’endroit où vous vivez et de la question de la langue. Nous savons qu’une grande partie des rôles dans les soins de santé relèvent des provinces, et pas nécessairement du fédéral.

Je suis curieuse de connaître votre opinion, et ma question s’adresse à vous toutes ou à celles qui veulent y répondre. On nous dit toujours, et nous le savons très bien, que plus d’argent et d’aide financière pourraient réellement aider. C’est là que le gouvernement fédéral peut parfois aider, en injectant plus d’argent. Cependant, si nous avons toujours plus de fonds, mais que nous n’avons pas la main-d’œuvre, les gens qui peuvent venir et faire le travail, cela pose un gros problème.

Ma question est donc la suivante. Comment le gouvernement fédéral peut-il aider à attirer davantage de personnes, notamment de l’étranger, des personnes francophones ou anglophones qui sont bilingues ou capables de travailler dans un environnement bilingue, selon la situation? Est-ce que le gouvernement fédéral peut plutôt contribuer en encourageant un plus grand nombre de jeunes Canadiens à envisager une carrière dans le secteur de la santé? En effet, la population vieillit dans tout le pays, et c’est préoccupant. C’est le cas partout.

J’ai toujours ma mère, moi aussi. Elle refuserait d’aller à l’hôpital anglophone parce qu’elle ne comprendrait pas un mot de ce qu’ils disent et ne serait pas capable de communiquer. Comment régler ce problème? J’aimerais savoir quel autre rôle vous pensez que le gouvernement fédéral peut jouer pour aider à résoudre cette situation, parce que l’argent ne peut pas tout régler si nous n’avons pas les gens.

Mme Johnson : Je peux tenter une première réponse, mais je suis sûre que mes collègues ont aussi des choses à dire à ce sujet. Ce comité permanent est notre champion. Vous êtes nos champions. Votre soutien à notre communauté est extraordinairement précieux, car il garantit que la communauté anglophone du Québec ne tombe pas dans l’oubli. Il est parfois contre-intuitif de parler de la minorité anglophone, mais nous vivons le même type de réalité que les francophones hors Québec.

Il faut absolument veiller à ce que les fonds accordés dans le cadre du programme pour les langues officielles ne soient pas perdus en étant transférés au Québec, car si vous donnez cet argent directement à la province de Québec, je vous garantis que nous n’en verrons pas la couleur et que nous ne saurons pas comment il est dépensé. En acheminant ces ressources directement aux organisations communautaires ou par l’intermédiaire de l’Université McGill, on s’assure que ce financement a un effet, en particulier sur les organisations communautaires telles que celles de mes collègues ici présentes. Il est important que vous plaidiez pour que cela continue, pour que l’argent soit investi par l’intermédiaire de la communauté, et pour que le contrôle des fonds ne revienne pas à la province de Québec.

Enfin, l’accès à l’argent, mais pas au personnel nécessaire pour faire le travail, comme vous l’avez dit, est une préoccupation réelle dans la mesure où nous avons tous des difficultés à recruter des gens en ce moment. Ce n’est toutefois pas une raison pour ne pas prendre des mesures et aller de l’avant. Je pense que nous devons vraiment nous assurer que nous pouvons payer des salaires suffisants pour garder les gens. Les organisations communautaires ont la réputation de sous‑payer leur personnel. Si nous disposons des ressources nécessaires pour payer des salaires concurrentiels, nous pourrons garder le personnel et le maintenir dans nos communautés.

Des personnes veulent travailler pour la communauté anglophone. Elles veulent soutenir les gens qui sont dans leur communauté, mais si on leur offre 10 $ de plus dans un autre contexte, il leur est difficile de se justifier de rester.

La sénatrice Poirier : Est-ce que quelqu’un d’autre veut répondre avant que je pose ma deuxième question?

Mme Callender : Je vais ajouter quelque chose. Pour revenir un peu sur ce qu’a dit Jennifer Johnson au sujet du rôle que jouent les organismes communautaires et de la capacité de payer pour conserver notre personnel, je pense que c’est parce que nous sommes les plus proches de la communauté. Nous connaissons les besoins de la communauté. Nous la côtoyons jour après jour. Je pense qu’on pourrait en faire un peu plus pour favoriser la compréhension ou la promotion des organisations communautaires en tant qu’acteurs clés. Cela se traduirait, je pense, par le respect du travail qu’elles accomplissent. En particulier dans notre communauté, dans la communauté noire anglophone, beaucoup de nos organisations communautaires ne disposent pas d’un financement suffisant. Travailler dans une organisation communautaire, soutenir sa communauté de cette manière, c’est essentiellement un sacrifice. Je pense, comme l’a fait remarquer Mme Johnson, qu’un financement plus important changerait la donne et encouragerait davantage de personnes à apporter leur soutien et leur aide. On peut dire que nous sommes les personnes qui peuvent le plus aider.

La sénatrice Poirier : En ce qui concerne le maintien en poste, comment vous en sortez-vous? Parmi les personnes que vous parvenez à recruter, quel est le pourcentage de celles que vous réussissez à garder?

Mme Johnson : Je pense que cela dépend de la région. J’imagine que les centres urbains ont probablement un meilleur taux de maintien en poste que... Jessica pourrait peut-être en parler.

Mme Synnott : Dans notre organisation communautaire, je dois dire que nous avons la chance de compter sur un personnel stable. Nous avons la possibilité d’offrir des horaires plus flexibles et une meilleure conciliation travail et vie personnelle. Je pense que c’est ce qui est le plus attrayant chez nous.

Nous avons, dans la province, de nouveaux arrivants qui viennent travailler pour nous et qui ne parlent pas français. Nous leur offrons un environnement de travail qui leur permet de ne pas avoir à maîtriser immédiatement le français. Nous leur offrons la possibilité d’apprendre le français pendant les heures de travail et de s’améliorer. Nous essayons de créer un bon environnement de travail, et cela fonctionne jusqu’à présent.

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