Le 4 avril 2022 - Étude sur l’immigration francophone en milieu minoritaire - Témoins divers

La sénatrice Poirier : Merci aux deux témoins de leur comparution; c’est très apprécié. Ma première question s’adresse aux deux témoins. Selon vous, que doit contenir la nouvelle politique en matière d’immigration francophone promise par le gouvernement fédéral? Quels facteurs doivent être considérés pour que cette politique favorise l’épanouissement et l’appui au développement des communautés francophones en situation minoritaire?

Soukaina Boutiyeb, directrice générale, Alliance des femmes de la francophonie canadienne : Pour répondre à la première question, je crois qu’il est important — et on le soumet dans notre étude — de changer le regard que nous portons sur les immigrants. Plutôt que de voir les femmes immigrantes comme des bénéficiaires de services, il faut aussi les voir comme des membres de la communauté et des participantes actives. Elles permettent d’assurer l’enrichissement et la vitalité de nos communautés. Une partie de l’objectif est donc de changer ce regard.

Comme notre présidente l’a mentionné dans son discours, l’autre partie consiste à prendre en compte une politique sensible au genre. Dans l’élaboration de politiques, il est important de tenir compte de l’analyse comparative entre les sexes plus, qui a pour but de développer des services adaptés aux besoins spécifiques des personnes immigrantes, en fonction de leur identité, de leur genre et de leur situation économique. Il faut aussi faire en sorte que ces services aient un impact direct et qu’ils puissent répondre à tous les besoins.

M. Chartrand : Je vais ajouter quelque chose à ce que vient de dire ma collègue Mme Boutiyeb. La politique doit non seulement être claire, mais tout ce qui en découle doit l’être également, c’est-à-dire tous les règlements d’IRCC. Nous avons donné deux exemples de choses qui se passent à IRCC et qui doivent changer pour que la francophonie soit accueillante et vibrante et qu’elle puisse se développer partout au Canada, pas seulement dans une partie du Canada.

La sénatrice Poirier : Merci de votre réponse. Ma deuxième question s’adresse à la Fédération nationale des conseils scolaires francophones. Quel est le portrait actuel de la clientèle scolaire d’immigration francophone? Vous avez soulevé, dans votre présentation, six excellents points. Selon vous, comment devrait-on les prioriser? Est-ce que les six points sont tout aussi prioritaires? Quel devrait être le point de départ?

Valérie Morand, directrice générale, Fédération nationale des conseils scolaires francophones : Permettez-moi de donner suite à la question précédente. Il faut augmenter les capacités d’accueil des communautés. Cela inclut le réseau scolaire de ces immigrants francophones.

Nous avons entendu aujourd’hui que l’on réclamait des cibles plus musclées pour l’immigration francophone. On ne peut s’opposer à un apport marqué de l’immigration francophone. Toutefois, pour être conséquent, il faut donner aux communautés et aux réseaux scolaires les moyens d’accueillir ces immigrants francophones. Mme Boutiyeb et Mme Enayeh ont mentionné un peu plus tôt le poids des responsabilités familiales. C’est un élément que nous avons aussi identifié. Nous avons d’ailleurs déposé un projet auprès d’IRCC, qu’on appelle RAM, soit Recrutement, accueil et maintien des nouveaux enseignants, qui est basé sur des pratiques exemplaires. Nous connaissons les solutions. Grâce aux conseils de notre président, nous offrons des séances de rencontres depuis quelques années. Le transport est assuré, des collations sont offertes, le service de garde est disponible pour les enfants, et les parents peuvent socialiser et briser cet isolement dont on a parlé pour favoriser l’intégration. Les enfants sont un vecteur, mais on donne aussi la chance aux parents de s’enraciner dans la communauté.

Nous savons ce que nous devons faire. Capitalisons sur ces pratiques exemplaires et donnons-nous les moyens de les mettre en œuvre. Bien souvent, les solutions ne sont pas si compliquées. Il faut tout de même reconnaître qu’elles existent et cesser d’être en mode réactif. Nous connaissons les solutions, alors planifions et apprenons de l’expérience des réfugiés syriens, pour la vague de réfugiés afghans qui nous attend et pour celle des Ukrainiens d’expression française. Nous connaissons les solutions. Donnons-nous la chance de les mettre en œuvre.

La sénatrice Poirier : Avez-vous eu une réponse positive à la demande de projet que vous avez déposée?

Mme Morand : Elle a été refusée à deux reprises. Je ne vous dis pas qu’on ne la présentera pas une troisième fois. Nous voyons ce qui doit être fait, mais il incombe à IRCC de reconnaître la réalité sur terrain. Comme l’a indiqué le président, M. Chartrand, le programme de travailleurs spécialisés en éducation dans les écoles doit être adapté au modèle des écoles de langue française. Le système est calqué sur le modèle anglophone, où une concentration très importante d’écoles est nécessaire pour se qualifier. Ce n’est pas la réalité du réseau des écoles de langue française, qui sont dispersées dans toute la province. On a souvent un conseil qui dessert une province ou un territoire. Reconnaissons la spécificité des écoles de langue française pour bien desservir cette clientèle immigrante.

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La sénatrice Poirier : Merci aux deux témoins d’être parmi nous.

Ma première question s’adresse à M. Deschênes-Thériault. Vous avez parlé, dans votre présentation d’ouverture, d’une étude que vous avez préparée pour le commissaire aux langues officielles. Dans cette étude, est-ce que vous avez eu de l’information sur les communautés linguistiques en situation minoritaire? Sont-elles bien outillées pour retenir de nouveaux arrivants, et est-ce qu’il y a beaucoup de migration à l’intérieur du pays une fois que de nouveaux immigrants arrivent ici?

M. Deschênes-Thériault : L’étude du Commissariat aux langues officielles a été publiée en novembre dernier.

Sur le plan de la rétention, c’est encore l’aspect le plus important du parcours d’intégration francophone, car il faut s’assurer d’avoir les outils et les ressources nécessaires pour favoriser une intégration réussie. Si l’on compare les données à celles d’il y a 20 ans, il y a eu de grands progrès sur le plan des capacités en établissement, par comparaison avec les progrès qui ont été faits en matière de recrutement.

Si on regarde les outils à notre disposition pour recruter un plus grand nombre de personnes à l’international, les progrès sur 20 ans sont plus limités que dans le secteur de l’établissement. Cependant, il y a encore du travail à faire, notamment dans les régions rurales. Il y a certaines communautés à Toronto, à Vancouver et dans de grandes villes canadiennes où il y a une longue tradition en matière d’immigration, comme à Moncton et à Halifax. Dans certaines régions plus rurales, comme au Nouveau-Brunswick, où l’immigration est un phénomène relativement nouveau et où on bâtit actuellement les capacités dans les communautés, il y a un travail important à faire pour favoriser la rétention.

En ce qui concerne l’immigration interprovinciale, je n’ai pas de données précises à présenter, mais avec les données du recensement de Statistique Canada, on pourrait brosser un portrait de ces migrations interprovinciales.

La sénatrice Poirier : Ma deuxième question s’adresse aux deux témoins et porte sur la future cible après 2023.

Une cible est toujours importante, mais j’aimerais vous entendre sur les programmes, les politiques ou les mécanismes que le gouvernement devrait adopter, modifier ou supprimer afin d’améliorer le bassin démographique des communautés francophones en situation minoritaire.

Mme Forest : Je vais commencer et je vous remercie de cette question.

Effectivement, il est difficile de prioriser, parce qu’il y a différentes mesures qui existent actuellement et qu’elles ne permettent pas d’atteindre la cible de 4,4 %. Si on veut augmenter cette cible, il serait important qu’il y ait des changements qui soient effectués dans les différents programmes. Pour les personnes réfugiées, le gouvernement pourrait s’investir davantage dans les pays francophones. Chaque volet doit être examiné et il faut mettre en place des mesures précises.

Notre étude est la première qui fait l’examen de chacune des voies d’accès à la résidence permanente et qui démontre les principaux problèmes relatifs à ces voies d’accès, en présentant des pistes de solution pour qu’on puisse accueillir davantage de personnes immigrantes au moyen de ces voies d’accès.

Cela dit, si on se lance vers des réformes de chacun de ces programmes, on suggère que ce soit inscrit au sein d’un bureau ayant des pouvoirs de décision importants et pouvant instaurer des mesures de suivi. Ce bureau devrait travailler de près avec les communautés francophones pour s’assurer que cela correspond aux besoins et aux volontés des communautés.

M. Deschênes-Thériault : Je vais ajouter qu’il faut mettre en place un programme d’immigration économique francophone autonome, avec un nombre ambitieux de places réservées qui seraient intégrées à même le plan du niveau d’immigration. C’est une des premières options qu’il faut explorer pour augmenter de manière substantielle le nombre d’immigrants francophones. Ce programme pourrait être géré dans le cadre d’Entrée express ou être un programme complètement indépendant. L’important est d’avoir un système de gestion autonome des candidatures francophones.

En ce qui a trait au programme pilote des communautés rurales et du Nord dont Mme Forest a parlé, le modèle associé donne un rôle de premier choix aux communautés dans la sélection des candidats. Il serait intéressant d’imaginer un tel projet pilote dans des communautés francophones où il y a une moins grande tradition d’immigration, afin de leur donner la chance de sélectionner des candidats et candidates qui répondent à leurs besoins dans la catégorie économique.

Le Programme des candidats des provinces et des territoires est aussi de l’immigration économique, mais il est géré différemment. En Ontario, le volet réservé aux travailleurs qualifiés bilingues fonctionne assez bien. On pourrait s’inspirer de ce volet dans les autres provinces.

Pour le parrainage familial, c’est assez complexe. Il faudrait se doter des capacités de traiter en temps opportun les demandes de candidats francophones, surtout lorsqu’on sait que le bureau de Dakar est, parmi tous les bureaux des visas d’IRCC à l’étranger, celui qui dessert le plus grand nombre de pays différents. On pourrait se doter des capacités nécessaires.

Pour les personnes réfugiées, on pourrait se doter d’une expertise sur le plan des situations d’urgence, notamment en Afrique subsaharienne, qui assurerait un complément à l’action du Canada à l’échelle internationale en matière de personnes réfugiées.

Le président : Merci pour vos réponses.

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